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Monday, April 22, 2024

Jurisdiction (CH Law) - Lugano Convention - Products Liability


Jurisdiction (International Case)

 

Lugano Convention

 

Products Liability

 

Swiss High Court Opinion

 

Convention de Lugano

 

For du lieu de commission de l'acte illicite en matière de responsabilité du fait des produits

 

For de l'action en constatation de droit négative (art. 5 par. 3 CL)

 

Cause de nature internationale

 

 

TF_4A_249/2023  

Arrêt du 22 avril 2024  

Ire Cour de droit civil  

 

 

 

3.  

Les parties sont en litige au sujet de la compétence internationale du tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit (ou lieu de commission de l’acte; "Handlungsort") au sens de l'art. 5 par. 3 de la Convention de Lugano (C; RS 0.275.12). La demanderesse recourante estime avoir le droit d'agir devant le tribunal du lieu où elle a conçu et produit le vélo. De son côté, le défendeur intimé conteste l'existence d'un tel for en Suisse; selon lui, le vélo n'est pas fabriqué en Suisse, mais en Chine; il résulte de ses motifs qu'il souhaite agir devant le tribunal du lieu du résultat de l'acte (ou lieu où le dommage s'est produit; "Erfolgsort") au sens de l'art. 5 par. 3 CL, qui, selon lui, se trouve au lieu de l'accident à Budoni, en Sardaigne, en Italie. Ce for du lieu du résultat n'est toutefois pas l'objet de la présente procédure.

 

 

3.1. La cause est de nature internationale, puisque le cycliste défendeur est domicilié en Italie et qu'une cause est toujours de nature internationale lorsque l'une des parties possède son domicile à l'étranger (art. 1 al. 1 LDIP; ATF 149 III 371 consid. 4.1; 141 III 294 consid. 4; 135 III 185 consid. 3.1; 131 III 76 consid. 2.3). Il n'est pas contesté que la Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dans sa version révisée du 30 octobre 2007 (art. 63 par. 1 CL; ATF 140 III 115 consid. 3), est applicable (art. 1 al. 2 LDIP) pour déterminer si les tribunaux suisses sont compétents dès lors que le défendeur est domicilié dans un État membre de l'Union Européenne et que la demanderesse a son siège en Suisse, à... (dans le canton de Fribourg).

 

 

3.2. Selon la Convention de Lugano, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites devant les juridictions de cet État (art. 2 par. 1 CL), sous réserve des règles énoncées aux sections 2 à 7 (art. 5 à 24 CL). Aux termes de l'art. 5 par. 3 CL, une personne domiciliée sur le territoire d'un État lié par la présente Convention peut être attraite, dans un autre État lié par la présente convention, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.  

Puisque l'art. 5 par. 3 CL correspond en substance à l'art. 5 point 3 du Règlement (CE) N° 44/2001 du 22 décembre 2000, dit Bruxelles I, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, entré en vigueur le 1er mars 2002 (qui a remplacé la Convention dite de Bruxelles de 1968 portant sur le même objet), la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, anciennement dénommée Cour de justice des Communautés européennes, relative à la disposition réglementaire de l'Union européenne doit être prise en considération comme moyen d'interprétation authentique jusqu'au 30 octobre 2007 (cf. ATF 131 III 227 consid. 3.1). Quant à la jurisprudence relative à l'art. 7 point 2 du Règlement (UE) N° 1215/2012 du 12 décembre 2012, dit Bruxelles Ibis, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, entré en vigueur le 10 janvier 2015, elle peut être prise en compte pour l'interprétation de l'art. 5 par. 3 CL puisque le contenu de cet article est identique à celui de l'art. 7 point 2 (ALEXANDER R. MARKUS, Internationales Zivilprozessrecht, 2e éd., Berne 2020, n. 677 ss).

 

 

3.3. Selon une jurisprudence constante, l'expression "lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire" au sens de l'art. 5 par. 3 CL vise à la fois le lieu de l'événement causal qui est à l'origine du dommage, autrement dit le lieu de commission de l'acte (ci-après: le lieu de commission de l'acte) (Handlungsort), et le lieu de la matérialisation du dommage, c'est-à-dire le lieu du résultat de l'acte (Erfolgsort) (ATF 145 III 303 consid. 4; 133 III 282 consid. 4.1; 132 III 778 consid. 3 et les références; arrêts CJUE Bier/Mines de Potasse 21-76 du 30 novembre 1976 n. 19; Pinckney C-170/12 du 3 octobre 2013 n. 26). L'action en responsabilité pour le fait des produits est une action délictuelle au sens de l'art. 5 par. 3 CL et elle peut donc être intentée au for du lieu de commission de l'acte (Handlungsort) (CJUE arrêt Zuid-Chemie BV C-189/08 du 16 juillet 2009 n. 27 et 29) ou au for du lieu du résultat de celui-ci (Erfolgsort) (CJUE arrêt Andreas Kainz C-45/13 du 16 janvier 2014 n. 18 et 26).

Lorsque le lieu de commission de l'acte illicite ("lieu où se situe le fait susceptible d'engager une responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle") et le lieu du résultat ("lieu où ce fait a entraîné un dommage") ne sont pas identiques, la CJUE considère que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l'un ou de l'autre de ces deux lieux (CJUE arrêt Zuid-Chemie précité n. 23; arrêt Kainz précité n. 23). Et la CJUE de préciser que l'identification de l'un de ces deux points de rattachement doit permettre d'établir la compétence de la juridiction objectivement la mieux placée pour apprécier si les éléments constitutifs de la responsabilité de la personne attraite sont réunis (arrêts Kainz précité n. 24 et Pinckney précité n. 28). Si un lieu de commission ou un lieu de résultat a pu être identifié, le tribunal ne procède pas au cas par cas à l'examen de la compétence de la juridiction objectivement la mieux placée (ATF 145 III 303 consid. 4.1).

 

 

3.4. L'interprétation des notions de lieu de commission de l'acte et de lieu du résultat doit se faire en fonction du système de compétences prévu par la Convention de Lugano et par le Règlement européen susmentionné (consid. 3.2), qui sont fondés sur la règle générale selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites devant les juridictions de cet État et que ce n'est que par dérogation à cette règle générale que les art. 5 à 7, dont notamment l'art. 5 par. 3, prévoient des règles de compétences spéciales (cf. aussi arrêt Kainz précité n. 21). Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s'articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l'autonomie des parties justifient un autre critère (cf. arrêt Kainz précité n. 3). Les règles de compétence spéciales sont donc d'interprétation stricte et ne permettent pas une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite. Ainsi, selon la CJUE, en aucun cas, la recherche d'une cohérence avec le Règlement (CE) N° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (dit Rome II) ne saurait conduire à donner aux dispositions du Règlement sur la compétence une interprétation étrangère au système et aux objectifs de celui-ci (arrêt Kainz précité n. 19-22); l'interprétation ne saurait prendre en compte l'intérêt de la personne lésée en lui permettant d'introduire son action au lieu de son domicile (forum actoris), l'art. 5 par. 3 ne tendant pas précisément à offrir à la partie la plus faible une protection renforcée (arrêt Kainz précité n. 30-31 avec référence à l'arrêt CJUE Folien Fischer et Fofitec C-133/11 du 25 octobre 2012, n. 46). Enfin, la CJUE a relevé que le lieu de commission ne saurait être celui où le produit en cause a été transféré au consommateur final ou au revendeur (arrêt Kainz précité n. 31). L'exclusion d'un point de rattachement au domicile du demandeur lésé est d'ailleurs conforme à l'art. 2 par. 1 CL qui prévoit que la compétence de la juridiction du domicile du défendeur doit prévaloir (arrêt Kainz précité n. 32 qui renvoie au n. 21).

 

 

3.5. Le demandeur à l'action en constatation de droit négative peut opter entre les fors déduits de l'art. 5 par. 3 CL de la même manière que le demandeur à l'action condamnatoire. L'art. 5 par. 3 CL vise aussi bien l'action de la prétendue victime d'un acte délictuel que l'action en constatation de droit négative du débiteur potentiel d'une créance fondée sur cet acte délictuel. Le demandeur, qu'il s'agisse de la victime ou du débiteur, peut donc choisir entre le for du lieu de commission de l'acte et le for du lieu du résultat. Si le Tribunal fédéral s'est prononcé dans ce sens dans le cadre d'une action en constatation de droit négative fondée sur le droit des cartels (ATF 145 III 303 consid. 4.2), la CJUE l'a admis dans le cadre d'une demande en constatation de droit négative portant sur une absence de responsabilité délictuelle en matière de concurrence (CJUE arrêt Folien précité n. 2 n. 55).  

Certes, selon la jurisprudence, le rôle des parties à l'action en constatation de droit négative est inversé, mais le demandeur cherche seulement à établir l'absence des conditions de la responsabilité dont résulterait le droit à réparation du défendeur. L'inversion des rôles n'est donc pas de nature à exclure une action en constatation de droit négative du champ d'application de la règle de compétence en matière délictuelle. Les objectifs de prévisibilité du for et de la sécurité juridique poursuivis par cette règle de compétence n'ont trait ni à l'attribution des rôles des parties, ni à la protection de l'un d'eux. Il ne s'agit pas d'une règle tendant à offrir une protection renforcée à la partie faible ; elle ne suppose pas que la prétendue victime doive ouvrir l'action. L'action positive et l'action en constatation de droit négative portent essentiellement sur les mêmes éléments de fait et de droit ; elles ont le même objet et la même cause. La juridiction de l'un des deux lieux visés par cette règle est compétente, indépendamment du fait que l'action a été introduite par le débiteur potentiel et non par la prétendue victime de l'acte délictuel (ATF 145 III 303 consid. 4.2.3; CJUE arrêt Folien précité n. 41-52). 

L'arrêt Kainz (précité n. 31) rendu sur l'action positive, d'un cycliste contre le fabricant d'une bicyclette, fait le lien avec l'arrêt Folien (précité n. 46) rendu sur une action en constatation de droit négative, en précisant que, dans les deux cas, la règle de compétence ne tend pas à offrir à la partie la plus faible une protection renforcée, ni ne vise à permettre au consommateur final de pouvoir saisir en toute hypothèse les juridictions de son propre domicile (arrêt Kainz précité n. 31). L'art. 5 par. 3 CL vaut donc tant pour l'action positive en responsabilité du fait des produits que pour l'action en constatation de droit négative portant sur l'absence de responsabilité du fait des produits.

 

 

3.6. En l'espèce, à ce stade de l'examen de la compétence, on peut retenir que tant le cycliste, par l'action délictuelle positive, que la société, par l'action en constatation de droit négative, peuvent ouvrir action au lieu de commission de l'acte illicite.

 

 

4.  

Il reste à déterminer où se trouve le lieu de commission de l'acte illicite selon l'art. 5 par. 3 CL en matière de responsabilité pour le fait des produitsLa demanderesse soutient qu'il s'agit du lieu où elle a conçu ce vélo de course et où elle en a vérifié la conformité aux normes ISO avant sa mise sur le marché, et non le lieu où elle fait fabriquer ces vélos (en Chine) ou assembler leurs éléments (en Hollande) ou les distribue (depuis la Belgique). Le défendeur soutient que le lieu de commission se trouve au lieu de fabrication matérielle, comme l'a retenu la cour cantonale.

 

 

4.1. Les dispositions de la Convention de Lugano doivent être interprétées de manière autonome en se référant au système et aux objectifs visés par les règles de compétence de cette convention (ATF 134 III 214 consid. 2.3; CJUE arrêts Zuid-Chemie précité n. 17; Kainz précité n. 19 et Pinckney précité n. 23). Comme tout traité, la Convention de Lugano doit être interprétée de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but (art. 31 al. 1 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [CV; RS 0.111]) (ATF 135 III 324 consid. 3.1; 131 III 227 consid. 3.1 et les arrêts cités).  

Comme on vient de le voir (cf. consid. 3.4 et 3.5 ci-dessus), l'art. 5 par. 3 CL ne tend pas à protéger la partie faible en lui permettant d'ouvrir action à son propre domicile (forum actoris). Les règles de compétence doivent s'articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur, ce qui doit également valoir pour l'action en constatation de droit négative dont l'objet est en réalité la créance en indemnisation du lésé ; dans un tel cas, il ne faut pas perdre de vue que les règles de compétence doivent aussi s'articuler autour de la compétence du tribunal du domicile du débiteur potentiel, les fors de l'art. 5 par. 3 CL n'étant justifiés qu'aux conditions strictes de cette disposition. La cohérence avec la réglementation sur la loi applicable ne doit pas aboutir à interpréter les règles de compétence contrairement aux objectifs poursuivis par la Convention de Lugano, respectivement le Règlement européen sur la compétence.

 

 

4.2. En matière de responsabilité du fait des produits, la détermination du lieu de commission de l'acte n'est pas aisée car le défaut du produit peut dépendre d'actes ou d'omissions se produisant au stade de la conception, de la fabrication ou de la commercialisation du produit. La localisation du lieu de commission peut donc être ardue (cf. ANDREA BONOMI, Commentaire romand LDIP/CL, n. 7 ad art. 135 LDIP).  

Dans l'affaire Kainz précitée, la CJUE a statué qu'"en cas de mise en cause de la responsabilité d'un fabricant du fait d'un produit défectueux, le lieu de l'événement causal à l'origine du dommage est le lieu de fabrication du produit en cause". Cette notion de lieu de fabrication n'était, dans cet arrêt, ni délicate, ni équivoque, ni controversée en tant que telle : en effet, la bicyclette avait été entièrement fabriquée en Allemagne et seulement achetée par le cycliste auprès d'un détaillant en Autriche, et l'accident était aussi survenu en Allemagne. La seule question était de savoir si le lieu de commission de l'acte illicite ("la détermination du lieu de l'événement causal") se situait au lieu de la fabrication de la bicyclette défectueuse, en Allemagne, ou au lieu de l'acquisition de celle-ci auprès d'un détaillant, en Autriche. Or, comme le relève la recourante, force est de constater que la CJUE a commencé par affirmer que ce n'est qu'"en principe" que l'événement causal survient au lieu où le produit en cause est fabriqué. Il faut donc retenir qu'elle n'a généralisé cette notion dans sa subsomption en cette affaire que parce qu'il n'y avait qu'un seul lieu de fabrication, en Allemagne. 

Il s'impose donc d'interpréter, selon la bonne foi et en tenant compte des objectifs poursuivis par les règles de compétence, les termes de concepteur/producteur/fabricant et de lieu de conception/production/ fabrication lorsque le produit prétendument défectueux est réalisé dans plusieurs lieux. On ne saurait déduire de l'art. 5 par. 3 CL, ni que le lésé doive ouvrir action, ni que le producteur puisse être attrait dans tous les États de fabrication matérielle de toutes les pièces détachées qui composent le produit. Dans la chaîne des causes du défaut, il y a lieu de considérer que le lieu de commission de l'acte dépend à la fois du concepteur/producteur dont le lésé met en cause la responsabilité et du lieu où celui-ci a agi, et non de tous les lieux où celui-ci a fait réaliser ses produits par des tiers.

 

 

4.3. En l'espèce, il résulte des constatations de fait de l'arrêt attaqué que la société demanderesse "produit" des vélos, en particulier le modèle de course xxx, que la conception du produit est effectuée à..., en Suisse, que la société le fait fabriquer en Chine, voire en Hollande où il est assemblé.  

Le cycliste défendeur entend bien mettre en cause la responsabilité de cette société, qui a conçu et produit le vélo de course en question, et non celle d'une société dont le nom lui est certainement inconnu, en Chine ou en Hollande, qui aurait fabriqué des pièces du vélo, respectivement assemblé celles-ci. C'est bien à la société demanderesse que le cycliste réclame 270'000 euros, et non à un quelconque autre fabricant. La qualité d'obligée de la société demanderesse - qui aurait la qualité pour défendre à l'action miroir du cycliste - est nécessairement liée à la qualité de concepteur/producteur du vélo. Les fabricants de pièces détachées et l'assembleur ne sont que des auxiliaires de la société demanderesse, dont celle-ci est responsable vis-à-vis de l'acquéreur du produit fini

Puisqu'il est constaté dans l'arrêt attaqué que le responsable auquel le cycliste impute le défaut du vélo a conçu et produit ce vélo à..., en Suisse, il y a lieu d'admettre que le lieu de commission de l'acte illicite au sens de l'art. 5 par. 3 CL se trouve à ce lieu, en Suisse. C'est donc à tort que la cour cantonale a retenu que le lieu de commission se trouvait au lieu de fabrication matérielle de la fourche du vélo en Chine, voire en Hollande au lieu de son assemblage, autrement dit hors de Suisse.

 

 

4.4. Comme l'a retenu la cour cantonale, il n'est pas nécessaire au stade de la détermination de la compétence de se préoccuper de la nature du défaut : il suffit de constater que le cycliste réclame une indemnité à la société demanderesse parce qu'il allègue que cette société qui produit le vélo en question est responsable du défaut de ce vélo, directement ou du fait de ses auxiliaires.  

Il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur la violation de la théorie des faits doublement pertinents. En effet, c'est parce qu'elle avait une fausse conception de la notion de "fabrication" que la cour cantonale a considéré que la demanderesse n'avait pas prouvé la localisation en Suisse.

Dès lors que le lieu de l'acte illicite en Suisse est établi, il n'y a pas lieu d'examiner l'exigence d'un rattachement particulier avec la Suisse, celui-ci n'étant pas une condition supplémentaire à examiner (cf. consid. 3.3 in fine).  

Le fait que le défendeur souhaiterait agir au lieu du résultat, autrement dit au lieu de l'accident, n'est pas décisif puisque l'art. 5 part. 3 CL offre le choix au demandeur, peu importe qu'il s'agisse d'une action positive ou de l'action miroir en constatation de droit négative. 

 

Monday, October 25, 2021

Lugano Convention - Brexit

 

Lugano Convention

Jurisdiction (EU)

Conflict of Laws (EU)

Brexit

Responsibility of the Board of Directors (Swiss Law)

 

 

Tribunal fédéral suisse

4A_133/2021; 4A_135/2021  

Arrêt du 26 octobre 2021  

Ire Cour de droit civil  

 

 

4.  

Selon la jurisprudence, une cause est de nature internationale lorsqu'elle a une connexité suffisante avec l'étranger, ce qui est toujours le cas lorsque l'une des parties possède son domicile ou son siège à l'étranger, peu importe que ce soit le demandeur ou le défendeur, et indépendamment de la nature de la cause (ATF 141 III 294 consid. 4; arrêt 4A_443/2014 du 2 février 2015 consid. 3.1). Tel est le cas en l'espèce, car les sociétés demanderesses ont leur siège au Royaume-Uni et en Lettonie.

 

 

4.1. En matière internationale, la compétence des autorités judiciaires suisses et le droit applicable sont régis par la LDIP, sous réserve des traités internationaux (art. 1 al. 1 let. a et b et al. 2 LDIP).

 

 

4.1.1. Les États parties à la Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Convention de Lugano révisée le 30 octobre 2007 [CL]; RS 0.275.12) sont la Suisse, l'Union européenne, l'Islande, la Norvège et le Danemark (sans les Iles Féroé et le Groenland), mais pas le Royaume-Uni. Celui-ci était auparavant lié par la CL en sa qualité de membre de l'Union européenne. Il est toutefois sorti de celle-ci le 31 janvier 2020 ( Brexit). Les modalités de cette sortie ont été réglées par l'Accord du 24 janvier 2020 sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique (JO L 29 du 31 janvier 2020, p. 7 ss; ci-après: Accord de retrait), lequel prévoyait notamment une période de transition jusqu'au 31 décembre 2020 (art. 126 de l'Accord de retrait) pendant laquelle le Royaume-Uni continuait d'être traité comme un État lié par la CL (cf. art. 129 par. 1 de l'Accord de retrait, qui dispose que, pendant la période de transition, le Royaume-Uni est lié par les obligations découlant des accords internationaux conclus par l'UE). Conformément à l'Échange de notes des 28/30 juin 2020 entre la Suisse et l'Union européenne concernant la continuation de l'application des accords entre la Suisse et l'Union européenne au Royaume-Uni pendant la période de transition après son retrait de l'Union européenne au 31 janvier 2020 (RS 0.122.1), il a été convenu qu'en ce qui concernait la législation suisse, le terme "Etat membre de l'UE" continuerait d'inclure le Royaume-Uni durant la période de transition (arrêt 5A_697/2020 du 22 mars 2021 consid. 6.1.1 destiné à la publication).

 

 

4.1.2. Selon l'art. 67 par. 1 de l'Accord de retrait, les dispositions du Règlement de l'Union européenne no 1215/2012 (Règlement Bruxelles I), lequel constitue le pendant de la CL dans les relations entre les divers États membres de l'Union européenne, s'appliquent, sur le territoire du Royaume-Uni et des États membres de l'Union européenne, aux actions judiciaires intentées avant la fin de la période de transition en cas de situations impliquant le Royaume-Uni. Selon l'Office fédéral de la justice, lequel s'est prononcé sur les conséquences du Brexit sur l'application de la CL, les autorités judiciaires saisies demeurent compétentes lorsque la procédure a été introduite sous le régime de la CL et demeure pendante au 1er janvier 2021 (OFJ, Auswirkungen des "Brexit" auf das Lugano-Übereinkommen, RSPC 2021 p. 86).

 

 

4.2. Sous réserve d'autres dispositions prévues par la CL, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État lié par la CL sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État (art. 2 al. 1 CL). L'application de l'art. 2 CL suppose le domicile du défendeur dans un État contractant, ainsi qu'un autre élément international; celui-ci est donné lorsque le demandeur a son domicile à l'étranger, même si l'État du domicile n'est pas partie à la CL (ATF 135 III 185 consid. 3.3; arrêt 4A_224/2013 du 7 novembre 2013 consid. 2.1).  

En l'occurrence, la procédure a été introduite en 2014, soit bien avant le Brexit, par deux sociétés ayant leur siège dans des États qui étaient alors tous deux membres de l'Union Européenne et, partant, liés par la CL, à l'encontre de défendeurs ayant tous leur domicile respectivement leur siège en Suisse, elle aussi partie à la CL. Les sociétés demanderesses ont fondé leurs prétentions sur la responsabilité des organes de la société anonyme (art. 754 ss CO), matière relevant du champ d'application de ladite convention (art. 1 al. 1 CL; arrêt 4A_36/2016 du 14 avril 2016 consid. 3.2). La compétence des autorités suisses repose ainsi sur l'art. 2 CL.

 

 

4.3. L'art. 2 al. 1 CL règle exclusivement la compétence internationale, c'est-à-dire la compétence générale des tribunaux de l'État du domicile du défendeur, mais non la compétence locale (le for interne) dans l'État du domicile, laquelle est régie par le droit interne de celui-ci, soit en l'occurrence par les dispositions de la LDIP (ATF 131 III 76 consid. 3.4; arrêts 4A_36/2016, précité, consid. 3.5.1; 4A_224/2013, précité, consid. 2.1).

 

 

4.4. Aux termes de l'art. 151 al. 1 LDIP, lors de différends relevant du droit des sociétés, les tribunaux suisses du siège de la société sont compétents pour connaître des actions contre la société, les sociétaires ou les personnes responsables en vertu du droit des sociétés. Les tribunaux suisses du domicile ou, à défaut de domicile, ceux de la résidence habituelle du défendeur sont également compétents pour connaître des actions contre un sociétaire ou une autre personne responsable en vertu du droit des sociétés (art. 151 al. 2 LDIP).

 

 

4.5. L'autorité de première instance s'est déclarée compétente au regard de l'art. 151 al. 1 LDIP pour connaître de l'action en dommages-intérêts intentée à l'égard des responsables en vertu du droit des sociétés. Pareille solution, qu'aucune partie ne remet en cause à ce stade, ne prête pas le flanc à la critique.

 

 

4.6. Conformément aux règles de conflit pertinentes en l'espèce, le droit suisse régit la responsabilité pour violation des prescriptions du droit des sociétés (art. 154 et 155 let. g LDIP).

 

 

7.1. En vertu de l'art. 754 al. 1 CO, les membres du conseil d'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à l'égard de la société, de même qu'envers chaque actionnaire ou créancier social, du dommage qu'ils leur causent en manquant intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs. La responsabilité des administrateurs envers la société fondée sur cette disposition est subordonnée à la réunion des quatre conditions générales suivantes, à savoir la violation d'un devoir, une faute (intentionnelle ou par négligence), un dommage et l'existence d'un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre la violation du devoir et la survenance du dommage (ATF 132 III 342 consid. 4.1; arrêts 4A_294/2020 du 14 juillet 2021 consid. 4.1.1; 4A_342/2020 du 29 juin 2021 consid. 5.1). Il appartient à la partie demanderesse à l'action en responsabilité de prouver la réalisation de ces conditions (art. 8 CC), qui sont cumulatives (ATF 136 III 148 consid. 2.3; 132 III 564 consid. 4.2; arrêt 4A_294/2020, précité, consid. 4.1.2.1.2 et les références citées).  

L'art. 754 al. 1 CO vise non seulement les membres du conseil d'administration, mais également toute personne qui s'occupe de la gestion, à l'instar des directeurs de la société anonyme, lesquels dépendent directement du conseil d'administration (arrêt 4A_55/2017 du 16 juin 2017 consid. 4.2). La responsabilité fondée sur cette disposition incombe donc non seulement aux membres du conseil d'administration, mais aussi aux organes de fait, c'est-à-dire à toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation de la société, à savoir celles qui prennent en fait les décisions normalement réservées aux organes ou qui pourvoient à la gestion, concourant ainsi à la formation de la volonté sociale d'une manière déterminante (ATF 132 III 523 consid. 4.5; 128 III 29 consid. 3a; arrêt 4A_294/2020, précité, consid. 3.1). Pour qu'une personne soit reconnue comme administrateur de fait, il faut qu'elle ait eu la compétence durable de prendre des décisions excédant l'accomplissement des tâches quotidiennes, que son pouvoir de décision apparaisse propre et indépendant et qu'elle ait été ainsi en situation d'empêcher la survenance du dommage (ATF 136 III 14 consid. 2.4; 132 III 523 consid. 4.5).

 

 

7.2.1. L'administrateur qui n'exerce pas ses attributions avec toute la diligence nécessaire (art. 717 al. 1 CO) manque à ses devoirs (première condition) au sens de l'art. 754 al. 1 CO. L'administrateur doit ainsi faire preuve de toute la diligence nécessaire, et pas seulement de l'attention qu'il porterait à ses propres affaires (ATF 139 III 24 consid. 3.2). La diligence due doit être appréciée objectivement en tenant compte de toutes les circonstances: il faut donc comparer le comportement que l'administrateur a eu avec celui qu'un administrateur raisonnable, confronté aux mêmes circonstances, aurait eu. En se plaçant au moment du comportement ou de l'omission reproché à l'administrateur, il faut se demander si, en fonction des renseignements dont il disposait ou pouvait disposer, son attitude paraît raisonnablement défendable (ATF 139 III 24 consid. 3.2 et les références citées; arrêts 4A_342/2020, précité, consid. 5.2.1; 4A_19/2020 du 19 août 2020 consid. 3.1.2, non publié in ATF 146 III 441).  

Il appartient notamment à l'administrateur de contrôler de manière régulière la situation économique et financière de la société (ATF 132 III 564 consid. 5.1). L'obligation de surveillance subsiste même si l'administrateur a délégué le pouvoir d'agir à l'actionnaire unique et propriétaire économique de la société; en effet, l'administrateur n'est pas seulement responsable envers les actionnaires, il l'est aussi envers la société en tant qu'entité juridique autonome et envers les créanciers de la société (arrêt 4A_120/2013 du 27 août 2013 consid. 3). S'il ressort du dernier bilan annuel que la moitié du capital-actions et des réserves légales n'est plus couverte, le conseil d'administration convoque immédiatement une assemblée générale et lui propose des mesures d'assainissement (art. 725 al. 1 CO). S'il existe des raisons sérieuses d'admettre que la société est surendettée, un bilan intermédiaire est dressé et soumis à la vérification de l'organe de révision (art. 725 al. 2 1re phrase CO). Lorsque les dettes sociales ne sont plus couvertes, les administrateurs doivent en principe en aviser le juge (art. 725 al. 2 CO). Exceptionnellement, il peut être renoncé à un avis immédiat au juge, si des mesures tendant à un assainissement concret et dont les perspectives de succès apparaissent comme sérieuses sont prises aussitôt (ATF 132 III 564 consid. 5.1; 116 II 533 consid. 5a). En pratique, pour déterminer s'il existe des "raisons sérieuses" d'admettre un surendettement, le conseil d'administration ne doit pas seulement se fonder sur le bilan, mais aussi tenir compte d'autres signaux d'alarmes liés à l'évolution de l'activité de la société, tels que l'existence de pertes continuelles ou l'état des fonds propres. L'administrateur qui tarde de manière fautive à aviser le juge au sens de l'art. 725 al. 2 CO répond du dommage qui en découle (ATF 132 III 564 consid. 5.1).