Monday, April 8, 2019

Entry Barriers (Antitrust - Swiss Law)

Barrières à l’entrée (droit suisse)

Marchés publics suisses (cantonaux et communaux)

Emoluments de protection en vue de protéger secret d’affaires et savoir-faire

La perception d’émoluments ne satisfait pas au principe de la proportionnalité. D’autres moyens existent : conclusion d’un accord de confidentialité, le choix d’une procédure sélective, la diffusion graduelle des informations ou le refus d’accès sur la base de l’interdiction de l’abus de droit

Droit d’auteur et concurrence déloyale peuvent être ici invoqués par le titulaire d’un secret d’affaires ou du savoir-faire


26. Les pouvoirs adjudicateurs interrogés ont justifié la perception d’émoluments de protection principalement par la volonté de protéger les secrets d’affaires contenus dans les documents d’appel d’offres. Ni la LMI ni l’AIMP ne proposent une définition de la notion de secret d’affaires. La violation du secret de fabrication ou du secret d’affaires (« secret commercial ») est mentionnée à l’art. 162 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP; RS 311.0). Plusieurs domaines juridiques se basent sur les critères définis par la jurisprudence pénale pour constater l’existence de secrets d’affaires. La notion de secret telle que précisée dans la jurisprudence du Tribunal fédéral recouvre toutes les informations qui ne sont pas publiques ou librement accessibles et que le détenteur du secret souhaite garder confidentielles en raison d’un intérêt légitime23. Un intérêt légitime au maintien du secret existe lorsque les informations en question sont importantes pour le succès commercial.24


Selon les avis reçus, la perception d’émoluments de protection est également justifiée par la protection du savoir-faire. L’interprétation juridique de la notion de savoir-faire présente des similitudes avec celle de la notion de secret de fabrication et de secret d’affaires au sens de l’art. 162 CP. Dans la pratique, le savoir-faire est défini comme les connaissances acquises par une entreprise en vue de résoudre des problèmes de fabrication de produits, de développement de services ou d’organisation de l’entreprise. L’entreprise détient l’exclusivité de ces connaissances tant qu’elle peut les garder secrètes.25


28. La majorité des pouvoirs adjudicateurs a invoqué la protection des secrets d’affaires contenus dans la documentation d’appel d’offres pour justifier la perception d’émoluments de protection. Il convient par conséquent de déterminer si cet argument constitue un motif valable au sens de l’art. 3 LMI. Les documents d’appel d’offres doivent présenter les biens ou services requis au moyen soit d’une description complète des produits ou des tâches, soit d’une liste détaillée des prestations; ils doivent en outre préciser les exigences à satisfaire. Au niveau fédéral, le contenu des documents d’appel d’offres est décrit à l’art. 18 de l’ordonnance du 11 décembre 1995 sur les marchés publics (OMP; RS 172.056.11). Il en ressort que la documentation doit contenir les informations nécessaires à la soumission d’une offre. Ces documents ainsi que les informations qu’ils fournissent sont destinés à tous les offreurs intéressés et, par conséquent, au grand public, étant donné que le pouvoir adjudicateur recherche un fournisseur de prestations et qu’il a en principe intérêt à recevoir plusieurs offres. Comme mentionné plus haut, l’existence d’un secret d’affaires présuppose les éléments suivants: il doit s’agir d’informations qui ne sont pas publiques ou librement accessibles et pour lesquelles il existe un intérêt subjectif ou objectif au maintien du secret. La grande majorité des informations régulièrement communiquées dans les documents d’appel d’offres ne sont pas des faits qui doivent rester confidentiels. Toutefois, selon le mandat, les documents d’appel d’offres peuvent ponctuellement contenir des secrets d’affaires qui doivent, dans certains cas, être protégés contre des offreurs potentiels.


(…) La perception d’émoluments ne satisfait pas au principe de la proportionnalité énoncé à l’art. 3, al. 1, let. c, LMI.


(…) Conditionner la transmission des documents d’appel d’offres au paiement d’un émolument ne protège pas les éventuels secrets commerciaux, puisque ces derniers sont communiqués après versement de l’émolument. La perception d’un émolument peut certes réduire le nombre de personnes qui demandent la documentation d’appel d’offres, mais il ne s’agit pas d’un moyen adéquat pour garantir la protection des secrets d’affaires.


31. Même si la perception d’émoluments de protection constituait un moyen adéquat pour protéger les secrets commerciaux, il faudrait, en vertu du principe de proportionnalité énoncé à l’art. 3, al. 1, let. c, LMI, qu’elle représente le moyen le moins lourd pour y parvenir. Or, ce n’est pas le cas. Il est par exemple d’usage de conclure au préalable un accord visant à protéger les secrets d’affaires (accord de confidentialité prévoyant une peine conventionnelle). Il est en outre possible de mener une procédure sélective (art. 12, al. 1, let. b, AIMP). Dans ce type de procédure, les personnes intéressées ne déposent pas directement une offre à l’adjudicateur, mais présentent une demande de participation. L’adjudicateur détermine ensuite quels candidats répondent aux critères d’aptitude. Seuls ceux qui satisfont aux exigences reçoivent ensuite les documents d’appel d’offres et sont invités à soumissionner. Une autre possibilité, parfois mise à profit, consiste à diffuser les informations gra- duellement, en fournissant des informations essentielles et détaillées dès la publication du marché sur SIMAP, ce qui permet de transmettre ensuite les documents d’appel d’offres contenant des secrets d’affaires uniquement aux offreurs intéressés. En dernier recours, il serait également possible, en cas de demande indue, de refuser l’accès aux documents d’appels d’offres sur la base de l’interdiction de l’abus de droit. Il ressort de ce qui précède qu’il existe plusieurs possibilités moins contraignantes pour protéger les secrets d’affaires. Par conséquent, la perception d’émoluments de protection ne constitue pas la méthode la moins lourde et ne répond pas au principe de proportionnalité prévu à l’art. 3, al. 1, let. c, LMI.


32. En conclusion, il ressort de la présente section que la perception d’émoluments pour protéger les éventuels secrets d’affaires (et le savoir-faire) n’est pas conforme au principe de proportionnalité prévu à l’art. 3, al. 1, let. c, LMI, dès lors que les émoluments ne sont pas adéquats et ne constituent pas le moyen le moins lourd à cette fin (d’autres possibilités moins contraignantes existent).


5.3.1 Application de la loi sur le droit d’auteur
Le droit d’auteur ne protège pas les décisions, procès-verbaux et rapports qui émanent des autorités ou des administrations publiques (art. 5, al. 1, let. c, LDA). En revanche, il s’applique aux documents internes à l’administration, comme les avis et les rapports d’expert.


En l’absence de dispositions dérogatoires et de pratique ou doctrine divergentes, la possibilité de protéger les dossiers d’appel d’offres par le droit d’auteur doit par conséquent être évaluée à l’aune des principes énoncés à l’art. 2 LDA. Un pouvoir adjudicateur public peut donc invoquer la protection des droits d’auteur de ses documents d’appel d’offres pour autant que ces derniers constituent une œuvre au sens de l’art. 2 LDA. Dans ce contexte, les plans et les dessins présentent un intérêt particulier, étant donné qu’ils constituent une œuvre au sens de la LDA s’ils ont un caractère individuel et si leur contenu est de nature scientifique ou technique.


35. Comme expliqué plus haut, les documents d’appel d’offres peuvent être protégés par le droit d’auteur si les conditions de l’art. 2 LDA sont remplies. Dans ce cas, l’auteur de l’œuvre est le pouvoir adjudicateur, c’est-à-dire la collectivité publique, qui est dotée de la personnalité juridique. La distribution des documents d’appel d’offres ne constitue pas une aliénation au sens de l’art. 12, al. 1, LDA, ni un transfert des droits au sens de l’art. 16, al. 1, LDA, et le pouvoir adjudicateur conserve en principe les droits d’auteur sur cette documentation. En cas de violation du droit d’auteur, le pouvoir adjudicateur peut notamment intenter une action civile (art. 61 ss. LDA) ou une action pénale (art. 67 LDA).


36. En ce qui concerne la justification d’un émolument de protection selon la LMI, il convient de rappeler les principes susmentionnés. L’art. 3, al. 1, let. c, LMI prévoit que les restrictions doivent prendre la forme de charges ou de conditions et ne sont autorisées que si elles répondent au principe de la proportionnalité. Étant donné que la LDA met à disposition des moyens de recours pour les documents d’appel d’offres protégés par le droit d’auteur, il n’est en principe pas nécessaire de prévoir des mesures supplémentaires. Par conséquent, la protection des droits d’auteur ne saurait justifier la perception d’émoluments de protection au regard de l’art. 3, al. 1, let. c, LMI.


37. S’agissant spécifiquement des plans, il convient de relever qu’outre les moyens de recours prévus par la LDA, la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD; RS 241) peut s’appliquer à l’utilisation des documents d’appel d’offres. Selon l’art. 5, let. a, LCD, agit de façon déloyale celui qui, notamment, exploite de façon indue le résultat d’un travail qui lui a été confié, par exemple des offres, des calculs ou des plans.


38. Il y a lieu, par ailleurs, de se demander pourquoi les documents d’appel d’offres devraient être mis à disposition uniquement de façon restreinte en cas de craintes fondées d’une éventuelle violation des droits d’auteur. Les autres possibilités mentionnées plus haut seraient là aussi envisageables, à savoir la conclusion d’un accord de confidentialité, le choix d’une procédure sélective, la diffusion graduelle des informations ou le refus d’accès sur la base de l’interdiction de l’abus de droit.


39. S’agissant de l’admissibilité de la protection des droits d’auteur pour justifier la perception d’émoluments de protection, on retiendra ce qui suit: étant donné que le pouvoir adjudicateur conserve le droit d’auteur même après la diffusion des documents d’appel d’offres, la perception d’un émolument de protection ne constitue pas un moyen adéquat pour préserver ce droit. Comme dans le cas de la protection des secrets d’affaires, la protection des droits d’auteur ne peut donc pas être invoquée pour justifier la perception d’émoluments, le critère de proportionnalité de l’art. 3, al. 1, let. c, LMI n’étant pas rempli.


41. Il ressort de ce qui précède que la perception d’émoluments de protection constitue en général une restriction discriminante à la liberté d’accès au marché au sens de l’art. 5, al. 1, LMI, qui ne saurait être justifiée par la protection des secrets d’affaires ou des droits d’auteur selon l’art. 3 LMI.


43. Un marché est considéré comme ouvert lorsqu’il offre un accès aussi libre que possible et que les barrières à l’entrée sont réduites au minimum. La perception d’émoluments de protection dans le cadre de marchés publics constitue une barrière financière à l’entrée.


(…) L’intensité de la concurrence tend à s’accroître avec le nombre d’offres. Une large palette d’offres et la concurrence entre les offreurs profitent à l’entité adjudicatrice, car cette dernière peut faire son choix parmi un grand nombre de propositions comparables. À l’inverse, un nombre d’offres réduit nuit à la concurrence, l’entité adjudicatrice devant alors baser son choix sur moins d’offres comparables, ce qui limite ses chances de sélectionner la meilleure offre.


8. Recommandation
50. En résumé, la COMCO parvient aux conclusions suivantes:
A Constatations
1.   A-1  La perception d’émoluments de protection pour la mise à disposition de documents dans les marchés publics cantonaux ou communaux constitue de manière générale une discrimination au sens de l’art. 5, al. 1, LMI et donc une violation de cette norme.
2.   A-2  Sur la base de l’art. 3, al. 1, LMI, la protection des secrets d’affaires et des droits d’auteur ne constituent pas des motifs pouvant justifier la restriction de la liberté d’accès au marché, étant donné que, conformément au principe de proportionnalité, d’autres mesures moins contraignantes sont également possibles.
Dans la mesure où les motifs avancés ne remplissent pas les conditions posées à l’art. 3 al. 1, LMI, la restriction à la liberté d’accès au marché constitue une violation de l’art. 5 LMI. Il appartient aux pouvoirs adjudicateurs de fournir d’autres motifs valables selon l’art. 3, al. 1, LMI.
A-3 Des mesures moins contraignantes peuvent être examinées:
·       -  accords contractuels (accord de confidentialité, p. ex.);
·       -  choix d’une procédure sélective;
·       -  mise à disposition graduelle des documents d’appel d’offres;
·       -  refus de l’accès aux documents d’appel d’offres fondé sur l’interdiction de l’abus de droit.
B Recommandation
B-1 La COMCO recommande de renoncer aux émoluments de protection pour la mise à disposition des documents d’appel d’offres dans les marchés publics cantonaux ou communaux.


23 ATF 142 II 268 consid. 5.2.1.
24 ISABELLE HÄNER, « Zugang zu Informationen, Öffentlichkeitsprinzip – Geschäftsgeheimnis », in: Zeitschrift für Datenrecht und Informationssicherheit, 2016, p. 119 s.
25 KAMEN TROLLER, Grundzüge des schweizerischen Immaterialgüterrechts, 2001, p. 170 s.



(COMCO - Recommandation du 8 avril 2019, DCP 2019-4, p. 1278-1282: Recommandation au sens de l’art. 8, al. 3, de la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur le marché intérieur concernant les émoluments de protection dans les marchés publics à l’intention des gouvernements cantonaux)


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