Wednesday, December 14, 2022

VAT (Swiss Law) - Group of Entities - Tax Evasion (Swiss Law)


VAT (Swiss Law)

 

Déduction de l'impôt préalable

 

Groupe de sociétés

 

Evasion fiscale

 

 

La règle selon laquelle une entité qui fournit ses prestations en son nom, en apparaissant comme prestataire vis-à-vis de l'extérieur, est considérée comme un assujetti distinct, vaut toutefois sous réserve de l'évasion fiscale. C'est donc seulement dans le cas d'évasion fiscale qu'il convient de privilégier l'approche économique et de s'écarter de la construction juridique mise en place

 

 

 

 

Tribunal fédéral suisse

 

2C_846/2022  

 

 

Arrêt du 15 décembre 2022  

 

IIe Cour de droit public  

 

Republication

 

 

Participants à la procédure 

A.________ SA, 

recourante, 

 

contre  

 

Administration fédérale des contributions, Division principale de la taxe sur la valeur ajoutée, Schwarztorstrasse 50, 3003 Berne. 

 

Objet 

TVA 2012 à 2015; déduction de l'impôt préalable, évasion fiscale, 

 

recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour I, du 6 septembre 2022 (A-1706/2021).

 

 

 

 

5.  

L'objet du litige peut être présenté comme suit. La recourante est assujettie à la TVA (art. 10 al. 1 de la loi fédérale du 12 juin 2009 régissant la taxe sur la valeur ajoutée [loi sur la TVA; LTVA; RS 641.20]). Elle a obtenu des prestations de travail à façon ou des prestations de montage fournies par C.________ Sàrl qui répondent à la définition légale de prestations de services imposables (art. 1 al. 2 let. a et 18 al. 1 et 23 a contrario LTVA). Elle a versé à C.________ Sàrl l'impôt facturé par cette dernière, ce qui lui a formellement ouvert le droit à la déduction de l'impôt préalable (art. 28 al. 1 let. a LTVA). Ni l'instance précédente ni l'AFC ne contestent que les conditions de la déduction de l'impôt préalable sont remplies. Elles soutiennent en revanche que les conditions pour admettre l'existence d'une évasion fiscale sont réalisées.

 

 

Est ainsi seule litigieuse la question de savoir si la constitution de C.________ Sàrl et ses relations avec la recourante constituent un cas d'évasion fiscale ayant permis à cette dernière d'économiser l'impôt par la déduction de l'impôt préalable prévue à l'art. 28 LTVA durant les années 2012 et 2013. La recourante s'en défend.

 

 

6.  

 

6.1. La LTVA ne définit pas ce qu'il faut entendre par activité "indépendante ". Elle se limite à préciser à son art. 10 al. 1, 2e phrase - abrogé au 31 décembre 2017 et depuis repris presque mot pour mot par le nouvel art. 10 al. 1bis LTVA (RO 2017 3575) - qu'une personne exploite une entreprise lorsqu'elle exerce à titre indépendant une activité professionnelle ou commerciale en vue de réaliser, à partir de prestations, des recettes ayant un caractère de permanence et lorsqu'elle agit en son propre nom vis-à-vis des tiers (RO 2009 5203). Il est toutefois admis que la question de savoir si une activité doit être qualifiée d'indépendante ou non au sens de la LTVA ne se pose qu'en lien avec des activités professionnelles ou commerciales exercées par des personnes physiques (ATF 138 II 251 consid. 2.4.2; arrêts 2C_387/2020 du 23 novembre 2020 consid. 5.2; 2C_711/2014 du 20 février 2015 consid. 2.2.2; 2C_814/2013 du 3 mars 2014 consid. 2.3.3 et 2C_399/2011 du 13 avril 2012 consid. 2.4.2). Le Tribunal fédéral a en effet posé le principe selon lequel il fallait considérer que les personnes morales exerçaient toujours une activité indépendante, même lorsqu'elles constituaient des filiales d'autres personnes morales et exploitaient une seule et même entreprise avec celles-ci d'un point de vue économique (ATF 142 II 113 consid. 7.3; 138 II 251 consid. 2.4.2).

 

 

Dès lors que l'entreprise remplit les conditions énoncées ci-dessus, elle est en principe considérée comme un assujetti distinct et les prestations qu'elle fournit lui sont attribuées aux fins de l'assujettissement et de l'imposition. Le principe de l'unité de l'entreprise, qui sert à déterminer l'étendue de l'assujettissement d'un contribuable donné, ne joue pas de rôle s'agissant de savoir si l'on est en présence d'un ou de plusieurs contribuablesIl ne permet pas, en particulier, de faire abstraction de la forme juridique pour admettre l'existence d'un seul assujetti en présence de plusieurs entités juridiquement distinctes, mais qui exploitent une seule entreprise d'un point de vue économique. Selon la jurisprudence en matière de taxe sur la valeur ajoutée, la règle selon laquelle une entité qui fournit ses prestations en son nom, en apparaissant comme prestataire vis-à-vis de l'extérieur, est considérée comme un assujetti distinct, vaut toutefois sous réserve de l'évasion fiscale. C'est donc seulement dans le cas d'évasion fiscale qu'il convient de privilégier l'approche économique et de s'écarter de la construction juridique mise en place (arrêt 2C_742/2008 du 11 février 2009 consid. 5 et les nombreuses références citées, qui a reçu l'approbation de la doctrine, cf. Pierre-Marie Glauser, Evasion fiscale : une approche théorique et pratique de l'évasion fiscale, Genève 2010, p. 42).

 

 

6.2. En l'occurrence, la recourante et C.________ Sàrl sont des personnes morales. Elles doivent en principe être considérées comme assujetties distinctes, sous réserve toutefois, comme on vient de le voir, d'un cas d'évasion fiscale.  

 

 

7.  

 

7.1. Selon la jurisprudence, il y a évasion fiscale lorsque (a) la forme juridique choisie par le contribuable apparaît comme insolite, inappropriée ou étrange, en tout cas inadaptée à la situation économique, lorsque, en outre (élément dit objectif), (b) il y a lieu d'admettre que ce choix a été abusivement exercé uniquement dans le but d'économiser des impôts qui seraient dus si les rapports de droit étaient aménagés de façon appropriée (élément dit subjectif), et lorsque (c) le procédé choisi conduirait effectivement à une notable économie d'impôt (élément dit effectif; pour une application détaillée de ces critères, cf. ATF 138 II 239 consid. 4.1 avec renvois).

 

 

7.2. Il convient d'examiner si ces conditions sont remplies sur la base des circonstances concrètes du cas d'espèce. Si tel est le cas, l'imposition doit se fonder sur l'organisation juridique qui aurait été appropriée pour atteindre le but économique visé (cf. ATF 146 II 97 consid. 2.6.2; 142 II 399 consid. 4.2; 138 II 239 consid. 4.1; arrêts 2C_652/2018 du 14 mai 2020 consid. 4.1.1, in : StE 2020 B 27.1 no 61, SVR 2020 LPP no 34 p. 143; 2C_354/2018 du 20 avril 2020 consid. 4.2.1).

 

 

7.3. En l'occurrence, se référant à la décision sur réclamation de l'AFC dont elle fait sien le contenu (arrêt attaqué, consid. 5.1.1), ce qui est admissible et a pour effet d'introduire ces faits dans l'arrêt attaqué (G. Bovey, op. cit., n° 13 ad art. 97 al. 1 LTF et les références citées), l'instance précédente expose que le caractère insolite de la construction mise en place résulte, s'agissant de C.________ Sàrl, de plus d'une vingtaine de faits. Il s'agit de l'absence d' animus societatis, de l'absence de locaux, de l'absence d'actifs, de l'absence de réelle présence sur le marché, de la confusion entre l'assujettie et C.________ Sàrl vis-à-vis des tiers lors de l'établissement des quittances et factures, de l'absence de comptabilité, de charges constituées uniquement de salaires et de matériel de bureau, du fait que les autres charges de fonctionnement de C.________ Sàrl sont supportées uniquement par la recourante, de l'absence d'autorisation de placer du personnel, de l'accès, du droit de regard et des paiements effectués par B.________ sur le compte bancaire de C.________ Sàrl, de paiements effectués depuis le compte bancaire de C.________ Sàrl en faveur de la recourante par son administrateur B.________, du rôle de représentation de C.________ Sàrl exercé par ce dernier, de la confusion entre direction et gestion entre C.________ Sàrl et la recourante, de la dépendance économique importante de C.________ Sàrl par rapport à la recourante et de la sous-traitance alors que B.________ sait que C.________ Sàrl n'a aucun moyen financier.

 

L'arrêt attaqué constate également que B.________ avait prêté à D.________ les 20'000 fr. pour la fondation de C.________ Sàrl, comme cela ressortait du formulaire de demande d'ouverture d'un compte de consignation pour société en formation du 17 avril 2012, qui indiquait également B.________ comme fondateur et ayant-droit économique. Les mouvements d'argent sur le compte opérationnel montraient que le 1er mai 2012 déjà C.________ Sàrl ne disposait plus que de 650 fr. de liquidités et 2'350 fr. de capital social, ce qui était inférieur au minimum légal. Selon les documents bancaires, B.________ était une personne autorisée, ce qui signifiait qu'il avait un accès et un droit de regard sur le compte opérationnel de C.________ Sàrl; ce dernier avait d'ailleurs effectué des paiements au moyen de ce compte en faveur de tiers notamment d'employés, d'assurances, des impôts et de sponsoring. C.________ Sàrl ne disposait que de personnel, mais pas d'actifs immobilisés tels que machines ou mobiliers. Les employés de C.________ Sàrl et ceux engagés séparément par l'assujettie ne disposaient pas d'un savoir-faire distinct pour effectuer des travaux que l'assujettie n'aurait pas été en mesure de fournir. L'assujettie fournissait plus du 80% du chiffre d'affaires de C.________ Sàrl. Les dépenses de cette dernière se limitaient, au vu des documents bancaires à disposition et de l'absence de comptabilité, aux salaires et cotisations sociales. C.________ Sàrl avait en outre été déclarée en faillite à peine une année après avoir été reprise par E.________, qui était administrateur simultanément de plusieurs sociétés en liquidation.

 

 

7.4. Au vu des éléments de faits retenus par l'instance précédente, qui lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF) - la recourante ayant échoué à démontrer la réalisation des conditions de l'art. 97 al. 1 LTF pour en modifier le contenu ou pour les supprimer (cf. consid. 3 ci-dessus), force est d'admettre que la constitution de C.________ Sàrl est étrange, en tout cas inadaptée à la situation économique. En effet, C.________ Sàrl n'a eu qu'une brève existence. Les fonds dont elle disposait ont été fournis par B.________. Ce dernier avait un accès et un droit de regard sur le seul compte opérationnel de C.________ Sàrl, ce qui démontre que D.________ n'était que formellement associé gérant inscrit au registre du commerce et que B.________ en était l'administrateur de fait. A cela s'ajoute que C.________ Sàrl avait un chiffre d'affaires dépendant de la recourante pour plus de 80%, avant d'être liquidée à brève échéance par un tiers administrateur habitué à effectuer ce genre de liquidations, une fois que la recourante a cessé de lui confier des travaux. C.________ Sàrl ne pouvait par conséquent pas justifier son existence en dehors des travaux sous-traités par la recourante, quand bien même elle aurait eu quelqu'autres clients. La première condition objective d'une évasion fiscale est par conséquent réalisée.

 

 

7.5. Il est également établi que la structure " recourante - C.________ Sàrl " ne peut pas se justifier pour des raisons commerciales ou personnelles, puisque les employés de C.________ Sàrl et ceux engagés séparément par la recourante ne disposaient pas d'un savoir-faire distinct pour effectuer des travaux que la recourante n'aurait pas été en mesure de fournir. Elle se justifie d'autant moins que C.________ Sàrl ne disposait pas de locaux ni d'actifs immobilisésLa deuxième condition subjective de l'évasion fiscale est ainsi également réalisée.

 

 

7.6. Enfin, comme l'a jugé à bon droit l'instance précédente, l'économie d'impôt que génère la structure insolite mise en place se mesure à l'aune de la situation qui aurait dû exister si elle était appropriée au but économique poursuivi par les parties. En l'occurrence, C.________ Sàrl et la recourante ont produit un chiffre d'affaires imposable qui ne l'aurait pas été ou que partiellement eu égard aux charges de personnel. La recourante n'aurait ainsi pas pu déduire l'impôt préalable d'un montant de 97'605 fr. si elle n'avait pas collaboré avec C.________ SàrlA cela s'ajoute que C.________ Sàrl, qui a certes facturé à la recourante l'impôt et en a reçu le paiement par cette dernière, ne s'est jamais acquittée de l'impôt elle-même, ce qui faisait aussi partie du but du montage insolite, géré par l'ayant droit économique de C.________ Sàrl, B.________, qui a fait en sorte, au vu de la brièveté de l'existence de C.________ Sàrl, de sa liquidation rapide et de l'absence de toute comptabilité, que l'impôt perçu par C.________ Sàrl ne soit jamais perçu par l'autorité intimée. La dernière condition de l'évasion fiscale est par conséquent aussi réalisée.

 

 

7.7. La recourante objecte que la confusion entre elle-même et C.________ Sàrl, alors qu'au regard de l'art. 10 LTVA (voir consid. 6.2 ci-dessus) elles sont en principe assujetties de manière distincte, revient à la rendre solidairement responsable de l'impôt dû par C.________ Sàrl. Elle soutient que cela serait contraire à l'art. 15 LTVA qui prévoit de manière exhaustive les cas de responsabilité solidaire, mais ne vise pas le présent cas de figure (cf. consid. 3.2 in fine ci-dessus).  

Cet argument tombe à faux. Il a été exposé ci-dessus (consid. 6.1) que la règle selon laquelle une entité qui fournit ses prestations en son nom, en apparaissant comme prestataire vis-à-vis de l'extérieur, est considérée comme un assujetti distinct, ne vaut que sous réserve de l'évasion fiscale. Celle-ci étant ici établie, il y a lieu de faire abstraction des deux entités distinctes que formaient la recourante et C.________ Sàrl, de sorte que la question de la responsabilité solidaire de l'une envers l'autre ne se pose pas. Elles doivent en effet être considérées comme une entreprise unique exerçant une même activité économique.

 

 

7.8. En jugeant que la recourante ne peut pas faire valoir la déduction de l'impôt préalable d'un montant de 97'605 fr. sur les factures établies par C.________ Sàrl, l'instance précédente n'a pas violé le droit fédéral.

 

 

8.  

Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours. 

 

Succombant, la recourante doit supporter les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (cf. art. 68 al. 1 LTF).

 

 

 

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  

 

 

1.  

Le recours est rejeté.

 

(…)

 

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