Monday, December 11, 2017

Swiss Competition Commission Opinion (in French), Dec. 11, 2017, Prohibited Practices under Cartel Law Art. 7


Concurrence / Cartels
Pratiques illicites selon l’art. 7 LCart
Abus de position dominante
Imposition de conditions commerciales inéquitables (art. 7 al. 2 let. c LCart)
Refus d’entretenir des relations commerciales
Marché de produits pertinents
Comportement de la demande
Un comportement peut être qualifié d’abusif alors même qu’il se produit et a des effets sur un marché distinct de celui sur lequel l’entreprise est en position dominante
Absence de considérations commerciales légitimes
Examen des motifs justificatifs d’efficacité
La question de l’entrave à la concurrence
Un exemple de clause d’exclusivité inéquitable (cas Van den Bergh Foods Ltd)
Limitation des débouchés ou du développement technologique (art. 7 al. 2 let. e LCart)
Atteinte à la capacité concurrentielle des concurrents 


Procédure :
Dénonciation
Négociation
Enquête
Secrets d’affaires
Application de la PA


CRI = Convention de raccordement immobilier
IDI = Installation de distribution d’immeuble
UH = Unité(s) d’habitation

Dénonciation
Le 8 avril 2013, Gératronic a déposé auprès du Secrétariat une dénonciation à l’encontre de Naxoo. En substance, Gératronic reproche à Naxoo des entraves à la concurrence, et plus spécifiquement une violation de l’art. 7 al. 2 let. a LCart. Selon Gératronic, « une installation est essentielle lorsque son utilisation est une condition indispensable à l’entreprise requérante pour avoir accès à un marché voisin de celui duquel l’entreprise est dominante et qu’il n’existe aucun substitut réel ou potentiel à cette installation ». En l’espèce selon Gératronic, Naxoo disposerait d’un monopole pour l’exploitation du téléréseau en Ville de Genève et refuserait de raccorder les immeubles équipés du système Supermédia, excluant de facto Gératronic du marché en Ville de Genève. Gératronic ajoute que le refus de Naxoo ne serait fondé sur aucune raison commerciale (le réseau intérieur de distribution des immeubles serait construit et financé par le propriétaire) ni technique (le système Supermédia ne créerait pas de perturbations). Gératronic sollicite l’ouverture d’une enquête au sens des art. 27 ss LCart, à laquelle elle sollicite de pouvoir participer conformément à l’art. 43 al. 1 let. a LCart (ch. 81, p. 520).

Négociation
Le 6 août 2013, le Secrétariat a imparti à Naxoo un délai afin de négocier une solution pour qu’il soit possible d’exploiter la technologie Supermédia en parallèle aux services qu’elle fournit à ses clients. Le Secrétariat estimait en effet que les problèmes décrits par Naxoo le 24 juin 2013 pouvaient être résolus (ch. 91, p. 522).
Le 24 octobre 2014, le Secrétariat a résumé la situation et la position des parties. En particulier, il a relevé que « Naxoo doit aujourd’hui se conformer à l’injonction du 6 mars 2014 sans condition, à savoir que Naxoo ne doit pas soumettre unilatéralement et sans qu’il n’y ait de réelles nécessités commerciales ou techniques des conditions de collaboration supplémentaires à Gératronic ou à des tiers. Un comportement contraire tendrait à démontrer que Naxoo vise à empêcher ou à retarder Gératronic dans l’installation de son système Supermédia – en particulier dans les nouveaux immeubles –, alors que le système Supermédia coexiste depuis plusieurs années avec le téléréseau […]. L’observation du marché opérée par le Secrétariat permet de constater que Naxoo doit tolérer l’installation du système Supermédia par le biais d’un câblage unique et après la boîte d’injection du signal de Naxoo, le signal de Naxoo et le signal satellite de Gératronic étant alors acheminés aux usagers par le même câble. Une telle cohabitation fonctionne depuis plusieurs années avec UPC Cablecom, sans que des problèmes techniques n’entravent le fonctionnement en parallèle des deux systèmes […]. Partant et dès aujourd’hui, Naxoo doit tolérer l’installation du système Supermédia ou de tout système analogue provenant d’un tiers, sans menacer directement ou indirectement les propriétaires (ch. 113, p. 524).

Enquête
Le 30 mars 2016 et d’entente avec un membre de la présidence de la COMCO, le Secrétariat a ouvert une enquête au sens de l’art. 27 LCart à l’encontre de Naxoo SA. L’enquête vise à établir si le comportement de Naxoo constitue effectivement des restrictions illicites à la concurrence au sens de l’art. 7 LCart. Le rapport final du 20 janvier 2016 a été communiqué à Naxoo dans une forme partiellement caviardée. Gératronic et la Ville de Genève ont été informés de l’ouverture de l’enquête. En outre, des questionnaires ont été envoyés à Naxoo ainsi qu’à Gératronic (ch. 132, p. 527).

Secrets d’affaires
Finalement, les actes de la procédure d’enquête préalable ont été soumis respectivement à Naxoo, Gératronic et UPC afin de les épurer des secrets d’affaires et de les inclure dans la procédure d’enquête (ch. 132, p. 527).
Par courriers du 3 mai 2017, le Secrétariat a invité Naxoo et Gératronic à signer et à lui retourner une déclaration de restriction d’utilisation de certaines déclarations qui ont été faites durant l’enquête (ch. 178, p. 532).

Application de la PA
Les dispositions de la PA s’appliquent à la procédure d’enquête, dans la mesure où la LCart n’y déroge pas (art. 39 LCart). L’art. 12 PA prévoit que l’autorité constate les faits d’office et procède s’il y a lieu à l’administration de preuves par documents, renseignements des parties, renseignements ou témoignages de tiers, visite des lieux ou expertises. La procédure d’enquête devant les autorités de la concurrence est donc régie par la maxime d’office et la maxime inquisitoire. L’établissement des faits nécessaires à la décision est toutefois mené dans la limite des possibilités des autorités de la concurrence, sur la base des renseignements que leur fournissent les parties ou des tiers (ch. 211, p. 535).

Refus d’entretenir des relations commerciales
(…) Naxoo se réserve ainsi le droit de décider si l’installation intérieure est conforme à ses propres spécifications techniques. Cela lui permet d’écarter n’importe quel tiers de l’IDI coaxiale sous prétexte qu’elle ne peut valider le schéma de l’installation (ch. 287, p. 544).
Il a été expressément précisé que si Naxoo devait s’obstiner à s’opposer à l’exploitation en parallèle des deux systèmes – notamment en fixant des conditions techniques inutiles ou en menaçant de désactiver son propre service en cas d’installation d’un service tiers comme Supermédia – le Secrétariat envisagerait l’ouverture d’une enquête préalable (ch. 310, p. 546).
(…) Mais principalement parce que les pièces transmises par Naxoo dans le délai fixé tendaient à démontrer que Naxoo n’avait pas l’intention de changer de pratique (par ex. maintien de l’approbation du schéma de raccordement, modification sur la forme de l’art. 9.4 de la Convention de raccordement qui ne règle pas le problème de fond de l’obligation des tiers de se conformer aux spécifications techniques de Naxoo, ou encore lettre visant à alarmer et décourager les propriétaires et à les détourner d’un système tiers) (ch. 311, p. 547). (…) Naxoo considérait d’ailleurs sans équivoque que tout couplage des réseaux était exclu, et donnait même le cas du couplage avec le satellite en exemple: « Le couplage des réseaux n’est pas autorisé (par exemple satellite et réseau Naxoo) pour des raisons de responsabilité d’intervention de nos services » (ch. 312, p. 547). (…) Consistant à menacer de ne pas contracter pour en fin de compte obtenir le raccordement de l’immeuble au téléréseau au détriment de tout tiers (ch. 315, p. 547).

Le marché de produits pertinent
Le marché de produits comprend tous les produits ou services que les partenaires potentiels de l’échange considèrent comme substituables en raison de leurs caractéristiques et de l’usage auquel ils sont destinés (art. 11 al. 3 let. a OCCE) (ch. 417, p. 561).
Les propriétaires d’immeubles cherchent à relier leurs immeubles à des infrastructures permettant d’acheminer des services de télécommunication jusqu’aux consommateurs (les locataires ou futurs propriétaires). Pour ce faire, les propriétaires d’immeubles les équipent d’IDI. En général, ils font construire des IDI coaxiales et des IDI cuivre, voire des IDI fibre optique à la place ou parallèlement aux IDI cuivre. L’analyse vise à déterminer en quoi ces différentes IDI sont substituables entre elles dans l’optique des propriétaires (ch. 420, p. 561).
Ils mènent ainsi leur réflexion comme la somme agrégée des consommateurs résidants dans leurs immeubles ou qui y résideront, et sont donc obligés de proposer plusieurs solutions en parallèle. M. Morales de GM ETUDES TECHNIQUES D'ELECTRICITE MORALES – ancien responsable technique d’Egg-Telsa SA, société qui fournit des prestations à Naxoo – a par exemple indiqué en cours d’enquête qu’il était difficile, voire impossible, d’opérer un choix entre le téléréseau ou le système Supermédia si l’un devait exclure l’autre. Selon lui, il paraît « logique de favoriser la possibilité pour le client final d’opérer lui-même ce choix ». Il confirme ainsi que les propriétaires doivent laisser le choix aux consommateurs, ce qui signifie aussi que les propriétaires doivent garantir l’accès à plusieurs alternatives, sans exclure d’emblée un système et en favoriser un autre. Ainsi et pour cette raison déjà, le raccordement au téléréseau n’est pas substituable à un raccordement au satellite du point de vue des propriétaires d’immeubles (ch. 421, p. 561) (…) L’absence d’un raccordement au téléréseau ou d’un raccordement à un système satellitaire pour ces immeubles – l’un au détriment de l’autre – découle de l’imposition des conditions commerciales de Naxoo et non de la volonté des propriétaires (N 273 ss). Par conséquent, le téléréseau n’est pas substituable avec un système satellitaire dans l’optique des propriétaires (ch. 422, p. 562). (…) L’installation de ces deux IDI en parallèle s’explique par des raisons historiques et techniques. Les IDI coaxiales permettaient la distribution de la télévision et les IDI cuivre le téléphone (ch. 424, p. 562). (…) En conclusion, les propriétaires d’immeubles sont les partenaires potentiels à l’échange pour l’exploitant du téléréseau (Naxoo en l’espèce). De l’analyse du marché pertinent, il ressort que le raccordement au téléréseau n’est pas substituable avec un raccordement au satellite via l’IDI coaxiale du point de vue des propriétaires. De même et toujours du point de vue des propriétaires, le raccordement au téléréseau et le raccordement à un système satellitaire ne sont pas substituables aux raccordements possibles via l’IDI cuivre ou fibre optique. Par conséquent, le raccordement au téléréseau constitue le marché de produits pertinent dans la présente enquête (ch. 427, p. 562).
Naxoo vise à conclure des contrats collectifs directement avec les propriétaires d’immeubles, lesquels sont les partenaires à l’échange essentiels de Naxoo. Les propriétaires intègrent par la suite la taxe du raccordement de base dans le contrat de bail, que ce soit dans le loyer ou dans les charges. Les transferts monétaires sont doubles pour la taxe de raccordement de base: un premier transfert est effectué entre les consommateurs et les propriétaires, et un deuxième transfert est effectué entre les propriétaires et Naxoo. A l’inverse, vu que les autres opérateurs comme Swisscom ou Sunrise concluent directement des contrats avec les consommateurs, les transferts monétaires s’établissent entre l’opérateur et le consommateur sans que le propriétaire n’intervienne d’une quelconque façon. Par conséquent, les deux modèles d’affaires, soit celui de Naxoo et celui des autres opérateurs, diffèrent sans l’ombre d’un doute (ch. 440, p. 564).

Différents marchés possibles et conclusion intermédiaire
Considérant l’importance des différences tant au niveau du prix que des caractéristiques objectives, il y aurait lieu de définir des marchés distincts. Par exemple, la COMCO a déjà défini un marché de détail de l’Internet à haut débit pour les clients finaux en différenciant les clients commerciaux et privés comme mentionné par Naxoo. Or, ce marché de l’Internet à haut débit englobe les offres à valeur ajoutée, mais pas les offres de base. On note également que dans cette même décision, la COMCO a défini un marché pertinent comme étant le marché de l’accès physique à l’infrastructure permettant une transmission basée sur le cuivre. En soit, il n’est donc pas incorrect de délimiter le marché pertinent en se basant sur une infrastructure spécifique, comme avancé ci-dessus (N 418). Par ailleurs, la décision Apax Partners LLP/Orange Communications S.A. distingue également différents marchés du contenu, comme mentionné par Naxoo. Il est également question d’un marché de l’Internet à haut débit. Les offres triple play à valeur ajoutée relèveraient du marché de l’Internet à haut débit alors que les offres triple play de base liées au raccordement au téléréseau ne peuvent valablement être incluses dans le marché de l’Internet à haut débit en raison de sa vitesse Internet faible. Ainsi, il existe pour le moins différents marchés du contenu. La différence entre les offres de base et les offres à valeur ajoutée ainsi que la pratique de la COMCO, mentionnée par Naxoo, appuient cette conclusion. Toutefois et contrairement à l’étonnement dont Naxoo fait preuve, il n’y a rien d’extraordinaire à différencier les marchés selon les types de partenaires (clients commerciaux, clients privés ou encore propriétaires d’immeuble), selon les caractéristiques objectives des offres (offres de base, offres à valeur ajoutée), ou encore selon les infrastructures (ch. 443, p. 565). (…) Vu ce qui précède, le marché pertinent est défini comme étant le marché du raccordement au téléréseau sur le territoire représenté par les codes postaux 1201 à 1209. Les analyses subséquentes se basent sur cette définition du marché pertinent (ch. 445, p. 565).

Concurrence actuelle
En l’espèce, les IDI coaxiales sont indispensables pour le fonctionnement de systèmes tiers comme le système Supermédia (N 19 et 68). Or, parallèlement au téléréseau de Naxoo, un tel système offre aux consommateurs la possibilité de consommer des services télévisuels satellitaires par l’IDI coaxiale, lesquels représentent une alternative à l’offre télévisuelle de Naxoo. Vu sa vitesse Internet très faible et sa téléphonie fixe payante pendant la période visée par l’enquête, l’offre de base triple play de Naxoo est centrée sur le segment télévisuel (N 29 ss) et entre bien, au moins en partie, en concurrence avec l’offre télévisuelle disponible par satellite sur les marchés du contenu situés en aval. Naxoo considère d’ailleurs l’offre par satellite comme concurrente de son offre de programmes de télévision (N 89). Forclore l’accès à l’IDI coaxiale par l’imposition de ses clauses commerciales permet ainsi à Naxoo de stabiliser ses parts de marché et d’éliminer au moins une partie de la concurrence sur les marchés du contenu situés en aval, en particulier pour le segment TV (N 89). Dans tous les cas, les clauses commerciales de Naxoo visant à accaparer les IDI coaxiales empêchent le développement de systèmes satellitaires collectifs, ou plus généralement de tout système ayant besoin de l’IDI coaxiale, ce qui affecte négativement le bien-être des consommateurs qui se voient empêchés d’accéder à du contenu audiovisuel supplémentaire (ch. 452, p. 566).
En conclusion, il n’existait aucune concurrence « actuelle » suffisamment forte sur le marché du raccordement au téléréseau sur le territoire représenté par les codes postaux 1201 à 1209 pour discipliner Naxoo, laquelle pouvait – sur la période visée par l’enquête – se comporter de manière essentiellement indépendante vis-à-vis des propriétaires d’immeubles et des installateurs de systèmes tiers souhaitant utiliser l’IDI coaxiale pour fournir leurs services (ch. 454, p. 567).

Comportement de la demande
Afin d’examiner la nature réelle de la concurrence et d’apprécier la position dominante, il est également nécessaire d’examiner le rôle de la demande. Une entreprise en position dominante ne pourra pas se comporter de manière indépendante face à un monopsone, soit un unique acheteur et donc puissant sur le marché. Il en va différemment si les partenaires potentiels de l’entreprise en position dominante sont caractérisés par leur atomicité, soit un grand nombre de partenaires potentiels sans aucune influence sur le marché pertinent (ch. 461, p. 567).
Dans le cas d’espèce, le nombre de propriétaires auxquels fait face Naxoo est important (ch. 462, p. 567).
Un propriétaire de bâtiments contenant plusieurs UH ne peut faire l’impasse sur un raccordement au téléréseau. Ainsi, l’examen des influences des marchés en aval ne remet pas en question la position dominante de Naxoo sur le marché pertinent du raccordement au téléréseau (ch. 480, p. 569).

Pratiques illicites
En ce qui concerne le marché sur lequel les abus sont commis
Comme notamment relevé par le TAF dans l’affaire Sanktionsverfügung - Preispolitik Swisscom ADSL ou encore la COMCO dans l’affaire Sport im Pay-TV, un comportement peut être qualifié d’abusif alors même qu’il se produit et a des effets sur un marché distinct de celui sur lequel l’entreprise est en position dominante (ch. 485, p. 570).
En l’espèce, il a été démontré plus haut que Naxoo est en position dominante sur le marché du raccordement au téléréseau (N 481). Même si les marchés du contenu situés en aval n’ont pas été délimités, il a toutefois été relevé que Naxoo est au moins puissante dans la fourniture des offres triple play à valeur ajoutée et de base (N 386 ss et N 464). Cette position de force sur les marchés situés en aval – qu’il n’est pas nécessaire de délimiter plus précisément ici – consolide la position dominante de Naxoo sur le marché du raccordement au téléréseau, distinct mais étroitement connexe. Cette situation permet à Naxoo d’éliminer tout système qui a nécessairement besoin de l’accès à l’IDI coaxiale pour fonctionner. Ainsi, Naxoo sauvegarde au mieux ses intérêts économiques, vu que l’offre télévisuelle disponible par satellite entre en concurrence, au moins en partie, avec l’offre triple play de base de Naxoo (ch. 487, p. 570).

Imposition de conditions commerciales inéquitables (art. 7 al. 2 let. c LCart)
L’enquête a démontré que si les propriétaires refusaient, ils se trouvaient généralement contraints de se tourner vers une solution TNT (N 297 et 300) ou de construire une seconde IDI coaxiale (N 299 et 300), alors qu’une telle construction n’est pas toujours nécessaire (N 368). La menace de ne pas raccorder l’immeuble au téléréseau en l’absence de signature d’une CRI – et donc en l’absence d’exclusivité sur l’installation intérieure de l’immeuble – est ainsi le moyen de pression principal utilisé par Naxoo, au minimum de manière implicite. Le fait que des propriétaires acceptent les conditions commerciales de Naxoo n’y change rien (ch. 110, p. 574).
Il sera démontré ci-dessous que les conditions commerciales de Naxoo sont inéquitables non seulement par rapport aux propriétaires d’immeubles, mais également par rapport aux sociétés tierces ou encore aux consommateurs (ch. 515, p. 574).
(…) Deuxièmement, les sociétés tierces, comme Gératronic, se voient entravées dans leurs possibilités d’entrer sur le marché et d’exercer leur activité commerciale. Cette entrave intervient sans raison vu qu’un système tiers peut cohabiter avec le téléréseau suivant la configuration des installations (N 368). En conséquence et ici également, les conditions commerciales de Naxoo sont inéquitables pour les sociétés tierces. Finalement, les consommateurs se trouvent limités sans raison dans leur choix de services de télécommunication, en tant que conséquence de l’entrave pour les sociétés tierces à l’accès aux installations intérieures (ch. 517 et 518, p. 574).

Absence de considérations commerciales légitimes
Le comportement d’une entreprise en position dominante est uniquement illicite s’il n’est pas justifié par des considérations commerciales légitimes (legitimate business reasons). Dans ce cadre, une distinction doit être opérée entre les motifs justificatifs objectifs et les motifs justificatifs d’efficacité. La pratique de la COMCO s’appuie par ailleurs sur la pratique de la Commission européenne. Les motifs justificatifs objectifs portent en premier lieu sur des motifs d’ordre économique (« principes commerciaux »). Ceux-ci sont donnés si le comportement en question est objectivement nécessaire. Une entreprise en position dominante agit en principe d’une manière objectivement justifiable si elle ne se comporte pas différemment d’une entreprise n’ayant pas d’influence sur le marché. Les motifs justificatifs d’efficacité entrent ensuite également en considération en tant que motifs justificatifs. Ceux-ci sont uniquement donnés si le principe de proportionnalité est respecté. Cela signifie notamment qu’il n’existe aucune autre possibilité d’adopter un comportement différent et moins susceptible de fausser la concurrence (principe de l’indispensabilité). En matière de refus d’entretenir des relations commerciales, il doit en particulier être examiné si ces refus sont nécessaires à l’entreprise dominante afin de protéger les investissements ou garantir l’incitation à innover (ch. 520-523, p. 575).
En conclusion et en vertu de tout ce qui précède, aucun motif justificatif objectif ne saurait être retenu pour des conditions commerciales inéquitables ayant une portée aussi générale. Il convient toutefois d’examiner encore l’existence d’éventuels motifs justificatifs d’efficacité (ch. 533, p. 576).

Examen des motifs justificatifs d’efficacité
(…) Il faut également garder à l’esprit que l’IDI coaxiale est entièrement financée par le propriétaire, qui en acquiert la propriété (ch. 535, p. 577).
(…) Naxoo ajoute encore à juste titre que « C’est donc afin de permettre aux habitants de la résidence de disposer d’un véritable choix que le propriétaire avait intérêt à proposer diverses alternatives. C’est du reste ce souci qui incite les propriétaires à intégrer diverses IDI en parallèle (câble, cuivre, fibre optique) dans leurs immeubles ». Naxoo résume ici parfaitement l’objet de l’enquête, à savoir que c’est effectivement afin de permettre aux habitants d’un immeuble de disposer d’un véritable choix que le propriétaire a intérêt à proposer diverses alternatives, et c’est ce qui incite ce dernier à intégrer diverses technologies en parallèle. Un système satellitaire comme le système Supermédia est une de ces alternatives, alternative que Naxoo s’est attelée à écarter. L’argument de Naxoo de l’absence de retour sur investissement si l’option « téléréseau uniquement » n’est pas choisie est donc sans fondement. Naxoo cherche à faire changer les propriétaires d’avis en leur faisant comprendre que s’ils n’excluent pas d’emblée tout tiers au téléréseau de l’IDI coaxiale, elle ne reliera pas les immeubles au téléréseau. Le courrier du 20 mai 2008 est d’ailleurs sans équivoque à ce sujet, vu qu’il s’empresse d’ajouter que « nous [Naxoo] sommes cependant prêts à envisager de revenir sur notre décision si la copropriété souhaitait, après réflexion, revenir à une solution tout Téléréseau ». En conclusion sur ce point, la protection des investissements en tant que motif justificatif d’efficacité ne peut être retenue (ch. 536-537, p. 577).
Il est ainsi constaté qu’aucun motif ne justifie l’application des conditions commerciales inéquitables de Naxoo aux propriétaires d’immeubles ou aux tiers qui prestent des services supplémentaires par l’entremise de l’IDI coaxiale. Partant, la condition de l’absence de considérations commerciales légitimes est également donnée (ch. 542, p. 578).

La question de l’entrave à la concurrence
Il peut premièrement être relevé que le TAF ne considère pas l’entrave à la concurrence comme un élément constitutif à part entière de l’imposition de conditions commerciales inéquitables. La doctrine va dans le même sens, et considère plutôt l’entrave importante à la capacité concurrentielle de tiers sur le marché comme une aggravation du caractère inéquitable des conditions commerciales. Partant, il n’y a pas lieu de retenir en l’espèce l’entrave à la concurrence comme un élément constitutif à part entière de l’imposition de conditions commerciales inéquitables (ch. 544, p. 578).
(…) En outre, les pratiques de Naxoo sont assimilables à un comportement visant à forclore le marché (N 451 s.) (ch. 545, p. 578).
(…) Vu ce qui précède, le comportement de Naxoo produisait des effets anticoncurrentiels puisqu’il restreignait voire éliminait la concurrence exercée par le satellite sur le segment TV des offres de Naxoo, sur les marchés du contenu situés en aval. Partant et même si elle n’est pas nécessaire à part entière, la condition de l’entrave à la concurrence est également donnée et aggrave le caractère inéquitable des conditions commerciales (ch. 548, p. 579).

Casuistique pertinente pour le cas d’espèce
Dans le cas Van den Bergh Foods Ltd – qui portait notamment sur une condition commerciale inéquitable, respectivement une clause d’exclusivité inéquitable –, la CJCE a jugé que lorsqu’un producteur de glaces disposant d’une position dominante met des congélateurs gratuitement à disposition des détaillants et en assure sans frais la maintenance, à condition que les détaillants n’y entreposent que des glaces dudit producteur, il incite les détaillants à s’approvisionner exclusivement auprès de lui. Une telle clause rend toute entrée et toute expansion sur le marché en cause plus difficile pour les concurrents de l’entreprise dominante; elle nuit également aux intérêts des détaillants qui ne peuvent plus choisir librement leurs sources d’approvisionnement ni la manière d’utiliser le plus efficacement leur espace de vente; enfin, le choix de produits offerts aux consommateurs s’en trouve restreint.
Ce cas est très proche de la situation d’espèce si l’on remplace le producteur de glaces par Naxoo et les détaillants par les propriétaires d’immeubles. Bien que Naxoo ne mette pas l’IDI coaxiale à disposition (les congélateurs), elle en assure gratuitement la modernisation en concluant des contrats de modernisation des IDI coaxiales, à condition qu’aucun tiers à Naxoo ne puisse accéder aux IDI coaxiales pendant une certaine durée. Naxoo incite ainsi les propriétaires d’immeubles à ne s’approvisionner qu’exclusivement auprès d’elle (soit en raccordement au téléréseau) pendant plusieurs années. Comme jugé par la CJCE, une telle clause nuit aux concurrents (par ex. Gératronic) de l’entreprise dominante, aux intérêts des détaillants (les propriétaires d’immeubles) et finalement aux consommateurs qui se retrouvent avec un choix restreint de produits (ch. 555, p. 579).

Conclusion intermédiaire
Vu les développements qui précèdent, les conditions cumulatives qui constituent l’abus au sens de l’art. 7 al. 2 let. c LCart (N 499) sont remplies. Il est ainsi prouvé que Naxoo abuse de sa position dominante en imposant ou en essayant d’imposer des conditions commerciales inéquitables au sens de l’art. 7 al. 2 let. c LCart aux propriétaires d’immeubles et par là même aux tiers qui prestent des services supplémentaires par l’entremise de l’IDI coaxiale. Les conditions commerciales de Naxoo visent à pousser les propriétaires à refuser d’entretenir des relations commerciales avec les tiers désireux d’utiliser les IDI coaxiales, ou alternativement à entraver tout tiers dans l’accès à l’IDI coaxiale. Elles excluent ainsi le marché du raccordement au satellite au profit du raccordement au téléréseau, affectant la concurrence sur les marchés du contenu situés en aval. Ces conditions commerciales constituent par ailleurs des pratiques illicites entravant l’accès d’entreprises tierces à la concurrence ou son exercice au sens de l’art. 7 al. 1 LCart (ch. 557, p. 580).

Limitation des débouchés ou du développement technologique (art. 7 al. 2 let. e LCart)
Afin de déterminer s’il y a abus au sens de l’art. 7 al. 2 let. e, les conditions cumulatives suivantes doivent être remplies:
a. Le comportement incriminé limite artificiellement l’accès au marché;
b. Le comportement incriminé affecte la capacité concurrentielle des concurrents;
c. Le comportement incriminé n’est pas justifié par des considérations commerciales légitimes

Atteinte à la capacité concurrentielle des concurrents :
Dans le cas d’espèce, il y a atteinte à la capacité concurrentielle de tiers vu que le comportement de Naxoo vise à empêcher, sur les IDI coaxiales en Ville de Genève, le développement de systèmes tiers en mesure de concurrencer Naxoo sur les marchés du contenu situés en aval, et notamment sur le segment télévisuel (N 89). Or, la Ville de Genève est essentiellement constituée d’immeubles de plusieurs logements (N 34), dont une grande majorité est pourvue d’une antenne parabolique collective (N 165). Partant, la Ville de Genève représente un marché avec des débouchés importants pour Gératronic ou pour tout autre tiers utilisant les IDI coaxiales, que cela soit pour un système satellitaire collectif ou d’autres services (ch. 567, p. 581).
Dans sa prise de position, Naxoo indique qu’il doit être démontré en quoi le comportement incriminé résulte en une atteinte durable et tangible de la concurrence en tant que telle, et non uniquement de certains concurrents. Le droit de la concurrence protègerait la concurrence en tant que telle et non les concurrents. De plus, Naxoo conteste à nouveau que Gératronic soit un equally efficient competitor. En l’espèce, Naxoo omet de tenir compte du fait que la présente enquête repose sur les conventions et contrats de Naxoo (N 233 ss), ainsi que sur la stricte mise en oeuvre des conditions commerciales problématiques de ces conventions et contrats (N 272 ss). Le fait qu’une entreprise soit touchée en particulier dans le cas présent n’y change rien, c’est bien les conventions et contrats de Naxoo et leur mise en oeuvre qui constituent les comportements reprochés. Or, ces conventions et contrats s’appliquent à tout acteur économique confronté à Naxoo, que cela soit en tant que partenaire ou concurrent (ch. 569, p. 581).
Les mesures prises par Naxoo ces dernières années – comme le refus de raccorder les immeubles au téléréseau en l’absence de la signature d’une CRI permettant d’exclure tout tiers des installations intérieures, l’envoi de courriers alarmants aux propriétaires ou aux futurs propriétaires, ou encore des contrats de modernisation visant à s’assurer et à maintenir l’exploitation exclusive des IDI coaxiales – amènent à la constatation que Naxoo a tenté activement d’obtenir l’usage exclusif de l’IDI coaxiale en abusant de sa position dominante sur son territoire d’activité. En vertu de tout ce qui précède, il est retenu que Naxoo a abusé de sa position dominante au sens de l’art. 7 al. 2 let. c et let. e LCart, ce qui constitue des pratiques illicites entravant l’accès d’entreprises tierces à la concurrence ou son exercice, et désavantageant les partenaires commerciaux au sens de l’art. 7 al. 1 LCart (ch. 574-575, p. 582).

Ad calcul de la sanction
En l’espèce, le marché pertinent qui est retenu par la COMCO dans le cadre de sa marge d’appréciation est le marché du raccordement au téléréseau. En effet, c’est en particulier à partir de ce marché que se produisent les conséquences économiques des pratiques illicites de Naxoo. A relever que la presse genevoise indique également que la source de revenus de Naxoo est « le réseau, présent dans les foyers genevois, à travers lequel Naxoo commercialise un abonnement mensuel de base à CHF 29.95 ». Le nombre de prises payantes (y compris locaux commerciaux) pour les années 2014 à 2016 doit ainsi être multiplié par le montant de CHF 25.55 HT, soit le montant hors TVA et hors droits d’auteur payé par les abonnés pour bénéficier de l’offre de base. La TVA et les droits d’auteur sont déduits par application analogique de l’art. 4 al. 1 OCCE. A préciser que le montant mensuel de CHF 25.55 HT est dû par chaque UH raccordée au Réseau Naxoo, que ce soit par le biais d'un Contrat de raccordement collectif ou d'un Contrat de raccordement individuel (ch. 598-599, p. 584).
La sanction ne peut en aucun cas être supérieure à 10 % du chiffre d’affaires réalisé en Suisse au cours des trois derniers exercices (art. 49a al. 1 LCart et art. 7 OS LCart). Comme cela ressort notamment du Message du Conseil fédéral portant sur la LCart de 2003, on entend les trois derniers exercices clos avant l’adoption de la décision (ch. 623, p. 587).
Se fondant sur les faits de la cause et en vertu des considérants qui précèdent, la COMCO arrive à la conclusion que Naxoo détient une position dominante sur le marché suivant, au sens de l’art. 7 al. 1 en lien avec l’art. 4 al. 2 LCart (section B.4.2):
- marché du raccordement au téléréseau sur le territoire représenté par les codes postaux suisses 1201 à 1209 (ch. 636, p. 588).



(Décision de la COMCO du 11 décembre 2017 en l’affaire enquête relative à l’art. 27 de la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur les cartels et autres restrictions à la concurrence (loi sur les cartels [LCart]; RS 251) concernant Supermédia relative à des pratiques illicites selon l’art. 7 LCart, RPW 2018/3, pp. 508-589)

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