Concurrence / Cartels
Pratiques illicites selon l’art.
7 LCart
Abus de position dominante
Imposition de conditions commerciales inéquitables (art. 7
al. 2 let. c LCart)
Refus d’entretenir des relations commerciales
Marché de produits pertinents
Comportement de la demande
Un comportement peut être qualifié d’abusif alors même qu’il
se produit et a des effets sur un marché distinct de celui sur lequel
l’entreprise est en position dominante
Absence de considérations commerciales légitimes
Examen des motifs justificatifs d’efficacité
La question de l’entrave à la concurrence
Un exemple de clause d’exclusivité inéquitable (cas Van
den Bergh Foods Ltd)
Limitation des débouchés ou du
développement technologique (art. 7 al. 2 let. e LCart)
Atteinte à la capacité concurrentielle des concurrents
Procédure :
Dénonciation
Négociation
Enquête
Secrets d’affaires
Application de la PA
CRI = Convention de raccordement immobilier
IDI = Installation de distribution d’immeuble
UH = Unité(s) d’habitation
Dénonciation
Le 8 avril 2013, Gératronic a déposé auprès du Secrétariat
une dénonciation à l’encontre de Naxoo. En substance, Gératronic reproche à
Naxoo des entraves à la concurrence, et plus spécifiquement une violation de
l’art. 7 al. 2 let. a LCart. Selon Gératronic, « une installation est
essentielle lorsque son utilisation est une condition indispensable à
l’entreprise requérante pour avoir accès à un marché voisin de celui duquel
l’entreprise est dominante et qu’il n’existe aucun substitut réel ou potentiel
à cette installation ». En l’espèce selon Gératronic, Naxoo disposerait
d’un monopole pour l’exploitation du téléréseau en Ville de Genève et
refuserait de raccorder les immeubles équipés du système Supermédia, excluant
de facto Gératronic du marché en Ville de Genève. Gératronic ajoute que le
refus de Naxoo ne serait fondé sur aucune raison commerciale (le réseau
intérieur de distribution des immeubles serait construit et financé par le
propriétaire) ni technique (le système Supermédia ne créerait pas de
perturbations). Gératronic sollicite l’ouverture d’une enquête au sens des art.
27 ss LCart, à laquelle elle sollicite de pouvoir participer conformément à
l’art. 43 al. 1 let. a LCart (ch. 81, p. 520).
Négociation
Le 6 août 2013, le Secrétariat a imparti à Naxoo un délai
afin de négocier une solution pour qu’il soit possible d’exploiter la
technologie Supermédia en parallèle aux services qu’elle fournit à ses clients.
Le Secrétariat estimait en effet que les problèmes décrits par Naxoo le 24 juin
2013 pouvaient être résolus (ch. 91, p. 522).
Le 24 octobre 2014, le Secrétariat a résumé la situation et
la position des parties. En particulier, il a relevé que « Naxoo doit aujourd’hui se conformer à
l’injonction du 6 mars 2014 sans condition, à savoir que Naxoo ne doit pas
soumettre unilatéralement et sans qu’il n’y ait de réelles nécessités
commerciales ou techniques des conditions de collaboration supplémentaires à Gératronic
ou à des tiers. Un comportement contraire tendrait à démontrer que Naxoo vise à
empêcher ou à retarder Gératronic dans l’installation de son système Supermédia
– en particulier dans les nouveaux immeubles –, alors que le système Supermédia
coexiste depuis plusieurs années avec le téléréseau […]. L’observation du
marché opérée par le Secrétariat permet de constater que Naxoo doit tolérer
l’installation du système Supermédia par le biais d’un câblage unique et après
la boîte d’injection du signal de Naxoo, le signal de Naxoo et le signal
satellite de Gératronic étant alors acheminés aux usagers par le même
câble. Une telle cohabitation fonctionne depuis plusieurs années avec UPC
Cablecom, sans que des problèmes techniques n’entravent le fonctionnement en
parallèle des deux systèmes […]. Partant et dès aujourd’hui, Naxoo doit tolérer
l’installation du système Supermédia ou de tout système analogue provenant d’un
tiers, sans menacer directement ou indirectement les propriétaires (ch. 113, p.
524).
Enquête
Le 30 mars 2016 et d’entente avec un membre de la présidence
de la COMCO, le Secrétariat a ouvert une enquête au sens de l’art. 27 LCart à
l’encontre de Naxoo SA. L’enquête vise à établir si le comportement de Naxoo
constitue effectivement des restrictions illicites à la concurrence au sens de
l’art. 7 LCart. Le rapport final du 20 janvier 2016 a été communiqué à Naxoo
dans une forme partiellement caviardée. Gératronic et la Ville de Genève ont
été informés de l’ouverture de l’enquête. En outre, des questionnaires ont été
envoyés à Naxoo ainsi qu’à Gératronic (ch. 132, p. 527).
Secrets d’affaires
Finalement, les actes de la procédure d’enquête préalable
ont été soumis respectivement à Naxoo, Gératronic et UPC afin de les épurer des
secrets d’affaires et de les inclure dans la procédure d’enquête (ch. 132, p.
527).
Par courriers du 3 mai 2017, le Secrétariat a invité Naxoo
et Gératronic à signer et à lui retourner une déclaration de restriction
d’utilisation de certaines déclarations qui ont été faites durant l’enquête
(ch. 178, p. 532).
Application de la
PA
Les dispositions de la PA s’appliquent à la procédure
d’enquête, dans la mesure où la LCart n’y déroge pas (art. 39 LCart). L’art. 12
PA prévoit que l’autorité constate les faits d’office et procède s’il y a lieu
à l’administration de preuves par documents, renseignements des parties,
renseignements ou témoignages de tiers, visite des lieux ou expertises. La
procédure d’enquête devant les autorités de la concurrence est donc régie par
la maxime d’office et la maxime inquisitoire. L’établissement des faits
nécessaires à la décision est toutefois mené dans la limite des possibilités
des autorités de la concurrence, sur la base des renseignements que leur
fournissent les parties ou des tiers (ch. 211, p. 535).
Refus d’entretenir
des relations commerciales
(…) Naxoo se réserve ainsi le droit de décider si
l’installation intérieure est conforme à ses propres spécifications techniques.
Cela lui permet d’écarter n’importe quel tiers de l’IDI coaxiale sous prétexte
qu’elle ne peut valider le schéma de l’installation (ch. 287, p. 544).
Il a été expressément précisé que si Naxoo devait s’obstiner
à s’opposer à l’exploitation en parallèle des deux systèmes – notamment en
fixant des conditions techniques inutiles ou en menaçant de désactiver son
propre service en cas d’installation d’un service tiers comme Supermédia – le
Secrétariat envisagerait l’ouverture d’une enquête préalable (ch. 310, p. 546).
(…) Mais principalement parce que les pièces transmises par
Naxoo dans le délai fixé tendaient à démontrer que Naxoo n’avait pas
l’intention de changer de pratique (par ex. maintien de l’approbation du schéma
de raccordement, modification sur la forme de l’art. 9.4 de la Convention de
raccordement qui ne règle pas le problème de fond de l’obligation des tiers de
se conformer aux spécifications techniques de Naxoo, ou encore lettre visant à
alarmer et décourager les propriétaires et à les détourner d’un système tiers)
(ch. 311, p. 547). (…) Naxoo considérait d’ailleurs sans équivoque que tout
couplage des réseaux était exclu, et donnait même le cas du couplage avec le
satellite en exemple: « Le couplage des réseaux n’est pas autorisé (par
exemple satellite et réseau Naxoo) pour des raisons de responsabilité
d’intervention de nos services » (ch. 312, p. 547). (…) Consistant à
menacer de ne pas contracter pour en fin de compte obtenir le raccordement de
l’immeuble au téléréseau au détriment de tout tiers (ch. 315, p. 547).
Le marché de
produits pertinent
Le marché de produits comprend tous les produits ou services
que les partenaires potentiels de l’échange considèrent comme substituables en
raison de leurs caractéristiques et de l’usage auquel ils sont destinés (art.
11 al. 3 let. a OCCE) (ch. 417, p. 561).
Les propriétaires d’immeubles cherchent à relier leurs
immeubles à des infrastructures permettant d’acheminer des services de
télécommunication jusqu’aux consommateurs (les locataires ou futurs
propriétaires). Pour ce faire, les propriétaires d’immeubles les équipent
d’IDI. En général, ils font construire des IDI coaxiales et des IDI cuivre,
voire des IDI fibre optique à la place ou parallèlement aux IDI cuivre.
L’analyse vise à déterminer en quoi ces différentes IDI sont substituables
entre elles dans l’optique des propriétaires (ch. 420, p. 561).
Ils mènent ainsi leur réflexion comme la somme agrégée des
consommateurs résidants dans leurs immeubles ou qui y résideront, et sont donc
obligés de proposer plusieurs solutions en parallèle. M. Morales de GM ETUDES
TECHNIQUES D'ELECTRICITE MORALES – ancien responsable technique d’Egg-Telsa SA,
société qui fournit des prestations à Naxoo – a par exemple indiqué en cours
d’enquête qu’il était difficile, voire impossible, d’opérer un choix entre le
téléréseau ou le système Supermédia si l’un devait exclure l’autre. Selon lui,
il paraît « logique de favoriser la possibilité pour le client final
d’opérer lui-même ce choix ». Il confirme ainsi que les propriétaires
doivent laisser le choix aux consommateurs, ce qui signifie aussi que les
propriétaires doivent garantir l’accès à plusieurs alternatives, sans exclure
d’emblée un système et en favoriser un autre. Ainsi et pour cette raison déjà,
le raccordement au téléréseau n’est pas substituable à un raccordement au
satellite du point de vue des propriétaires d’immeubles (ch. 421, p. 561) (…) L’absence
d’un raccordement au téléréseau ou d’un raccordement à un système satellitaire
pour ces immeubles – l’un au détriment de l’autre – découle de l’imposition des
conditions commerciales de Naxoo et non de la volonté des propriétaires (N 273
ss). Par conséquent, le téléréseau n’est pas substituable avec un système
satellitaire dans l’optique des propriétaires (ch. 422, p. 562). (…) L’installation
de ces deux IDI en parallèle s’explique par des raisons historiques et
techniques. Les IDI coaxiales permettaient la distribution de la télévision et
les IDI cuivre le téléphone (ch. 424, p. 562). (…) En conclusion, les
propriétaires d’immeubles sont les partenaires potentiels à l’échange pour
l’exploitant du téléréseau (Naxoo en l’espèce). De l’analyse du marché
pertinent, il ressort que le raccordement au téléréseau n’est pas substituable
avec un raccordement au satellite via l’IDI coaxiale du point de vue des
propriétaires. De même et toujours du point de vue des propriétaires, le
raccordement au téléréseau et le raccordement à un système satellitaire ne sont
pas substituables aux raccordements possibles via l’IDI cuivre ou fibre
optique. Par conséquent, le raccordement au téléréseau constitue le marché de
produits pertinent dans la présente enquête (ch. 427, p. 562).
Naxoo vise à conclure des contrats collectifs directement
avec les propriétaires d’immeubles, lesquels sont les partenaires à l’échange
essentiels de Naxoo. Les propriétaires intègrent par la suite la taxe du
raccordement de base dans le contrat de bail, que ce soit dans le loyer ou dans
les charges. Les transferts monétaires sont doubles pour la taxe de
raccordement de base: un premier transfert est effectué entre les consommateurs
et les propriétaires, et un deuxième transfert est effectué entre les
propriétaires et Naxoo. A l’inverse, vu que les autres opérateurs comme Swisscom
ou Sunrise concluent directement des contrats avec les consommateurs, les
transferts monétaires s’établissent entre l’opérateur et le consommateur sans
que le propriétaire n’intervienne d’une quelconque façon. Par conséquent, les
deux modèles d’affaires, soit celui de Naxoo et celui des autres opérateurs,
diffèrent sans l’ombre d’un doute (ch. 440, p. 564).
Différents marchés
possibles et conclusion intermédiaire
Considérant l’importance des différences tant au niveau du
prix que des caractéristiques objectives, il y aurait lieu de définir des
marchés distincts. Par exemple, la COMCO a déjà défini un marché de détail de
l’Internet à haut débit pour les clients finaux en différenciant les clients
commerciaux et privés comme mentionné par Naxoo. Or, ce marché de l’Internet à
haut débit englobe les offres à valeur ajoutée, mais pas les offres de base. On
note également que dans cette même décision, la COMCO a défini un marché
pertinent comme étant le marché de l’accès physique à l’infrastructure
permettant une transmission basée sur le cuivre. En soit, il n’est donc pas
incorrect de délimiter le marché pertinent en se basant sur une infrastructure
spécifique, comme avancé ci-dessus (N 418). Par ailleurs, la décision Apax
Partners LLP/Orange Communications S.A. distingue également différents
marchés du contenu, comme mentionné par Naxoo. Il est également question d’un
marché de l’Internet à haut débit. Les offres triple play à valeur ajoutée
relèveraient du marché de l’Internet à haut débit alors que les offres triple
play de base liées au raccordement au téléréseau ne peuvent valablement être
incluses dans le marché de l’Internet à haut débit en raison de sa vitesse Internet
faible. Ainsi, il existe pour le moins différents marchés du contenu. La
différence entre les offres de base et les offres à valeur ajoutée ainsi que la
pratique de la COMCO, mentionnée par Naxoo, appuient cette conclusion.
Toutefois et contrairement à l’étonnement dont Naxoo fait preuve, il n’y a rien
d’extraordinaire à différencier les marchés selon les types de partenaires
(clients commerciaux, clients privés ou encore propriétaires d’immeuble), selon
les caractéristiques objectives des offres (offres de base, offres à valeur
ajoutée), ou encore selon les infrastructures (ch. 443, p. 565). (…) Vu ce qui
précède, le marché pertinent est défini comme étant le marché du raccordement
au téléréseau sur le territoire représenté par les codes postaux 1201 à 1209.
Les analyses subséquentes se basent sur cette définition du marché pertinent
(ch. 445, p. 565).
Concurrence
actuelle
En l’espèce, les IDI coaxiales sont indispensables pour le
fonctionnement de systèmes tiers comme le système Supermédia (N 19 et 68). Or,
parallèlement au téléréseau de Naxoo, un tel système offre aux consommateurs la
possibilité de consommer des services télévisuels satellitaires par l’IDI
coaxiale, lesquels représentent une alternative à l’offre télévisuelle de
Naxoo. Vu sa vitesse Internet très faible et sa téléphonie fixe payante pendant
la période visée par l’enquête, l’offre de base triple play de Naxoo est
centrée sur le segment télévisuel (N 29 ss) et entre bien, au moins en partie,
en concurrence avec l’offre télévisuelle disponible par satellite sur les
marchés du contenu situés en aval. Naxoo considère d’ailleurs l’offre par
satellite comme concurrente de son offre de programmes de télévision (N 89).
Forclore l’accès à l’IDI coaxiale par l’imposition de ses clauses commerciales
permet ainsi à Naxoo de stabiliser ses parts de marché et d’éliminer au moins
une partie de la concurrence sur les marchés du contenu situés en aval, en
particulier pour le segment TV (N 89). Dans tous les cas, les clauses
commerciales de Naxoo visant à accaparer les IDI coaxiales empêchent le
développement de systèmes satellitaires collectifs, ou plus généralement de
tout système ayant besoin de l’IDI coaxiale, ce qui affecte négativement le
bien-être des consommateurs qui se voient empêchés d’accéder à du contenu
audiovisuel supplémentaire (ch. 452, p. 566).
En conclusion, il n’existait aucune concurrence « actuelle »
suffisamment forte sur le marché du raccordement au téléréseau sur le
territoire représenté par les codes postaux 1201 à 1209 pour discipliner Naxoo,
laquelle pouvait – sur la période visée par l’enquête – se comporter de manière
essentiellement indépendante vis-à-vis des propriétaires d’immeubles et des
installateurs de systèmes tiers souhaitant utiliser l’IDI coaxiale pour fournir
leurs services (ch. 454, p. 567).
Comportement de la
demande
Afin d’examiner la nature réelle de la concurrence et
d’apprécier la position dominante, il est également nécessaire d’examiner le
rôle de la demande. Une entreprise en position dominante ne pourra pas se
comporter de manière indépendante face à un monopsone, soit un unique acheteur
et donc puissant sur le marché. Il en va différemment si les partenaires
potentiels de l’entreprise en position dominante sont caractérisés par leur
atomicité, soit un grand nombre de partenaires potentiels sans aucune influence
sur le marché pertinent (ch. 461, p. 567).
Dans le cas d’espèce, le nombre de propriétaires auxquels
fait face Naxoo est important (ch. 462, p. 567).
Un propriétaire de bâtiments contenant plusieurs UH ne peut
faire l’impasse sur un raccordement au téléréseau. Ainsi, l’examen des
influences des marchés en aval ne remet pas en question la position dominante
de Naxoo sur le marché pertinent du raccordement au téléréseau (ch. 480, p.
569).
Pratiques illicites
En ce qui concerne
le marché sur lequel les abus sont commis
Comme notamment relevé par le TAF dans l’affaire Sanktionsverfügung
- Preispolitik Swisscom ADSL ou encore la COMCO dans l’affaire Sport im
Pay-TV, un comportement peut être qualifié d’abusif alors même qu’il se
produit et a des effets sur un marché distinct de celui sur lequel l’entreprise
est en position dominante (ch. 485, p. 570).
En l’espèce, il a été démontré plus haut que Naxoo est en
position dominante sur le marché du raccordement au téléréseau (N 481). Même si
les marchés du contenu situés en aval n’ont pas été délimités, il a toutefois
été relevé que Naxoo est au moins puissante dans la fourniture des offres
triple play à valeur ajoutée et de base (N 386 ss et N 464). Cette position de
force sur les marchés situés en aval – qu’il n’est pas nécessaire de délimiter
plus précisément ici – consolide la position dominante de Naxoo sur le marché
du raccordement au téléréseau, distinct mais étroitement connexe. Cette
situation permet à Naxoo d’éliminer tout système qui a nécessairement besoin de
l’accès à l’IDI coaxiale pour fonctionner. Ainsi, Naxoo sauvegarde au mieux ses
intérêts économiques, vu que l’offre télévisuelle disponible par satellite
entre en concurrence, au moins en partie, avec l’offre triple play de base de
Naxoo (ch. 487, p. 570).
Imposition de
conditions commerciales inéquitables (art. 7 al. 2 let. c LCart)
L’enquête a démontré que si les propriétaires refusaient,
ils se trouvaient généralement contraints de se tourner vers une solution TNT
(N 297 et 300) ou de construire une seconde IDI coaxiale (N 299 et 300), alors
qu’une telle construction n’est pas toujours nécessaire (N 368). La menace de
ne pas raccorder l’immeuble au téléréseau en l’absence de signature d’une CRI –
et donc en l’absence d’exclusivité sur l’installation intérieure de l’immeuble
– est ainsi le moyen de pression principal utilisé par Naxoo, au minimum de
manière implicite. Le fait que des propriétaires acceptent les conditions
commerciales de Naxoo n’y change rien (ch. 110, p. 574).
Il sera démontré ci-dessous que les conditions commerciales
de Naxoo sont inéquitables non seulement par rapport aux propriétaires
d’immeubles, mais également par rapport aux sociétés tierces ou encore aux
consommateurs (ch. 515, p. 574).
(…) Deuxièmement, les sociétés tierces, comme Gératronic, se
voient entravées dans leurs possibilités d’entrer sur le marché et d’exercer
leur activité commerciale. Cette entrave intervient sans raison vu qu’un
système tiers peut cohabiter avec le téléréseau suivant la configuration des
installations (N 368). En conséquence et ici également, les conditions
commerciales de Naxoo sont inéquitables pour les sociétés tierces. Finalement,
les consommateurs se trouvent limités sans raison dans leur choix de services
de télécommunication, en tant que conséquence de l’entrave pour les sociétés
tierces à l’accès aux installations intérieures (ch. 517 et 518, p. 574).
Absence de
considérations commerciales légitimes
Le comportement d’une entreprise en position dominante est
uniquement illicite s’il n’est pas justifié par des considérations commerciales
légitimes (legitimate business reasons). Dans ce cadre, une distinction
doit être opérée entre les motifs justificatifs objectifs et les motifs
justificatifs d’efficacité. La pratique de la COMCO s’appuie par ailleurs sur
la pratique de la Commission européenne. Les motifs justificatifs objectifs portent
en premier lieu sur des motifs d’ordre économique (« principes commerciaux »).
Ceux-ci sont donnés si le comportement en question est objectivement
nécessaire. Une entreprise en position dominante agit en principe d’une manière
objectivement justifiable si elle ne se comporte pas différemment d’une
entreprise n’ayant pas d’influence sur le marché. Les motifs justificatifs d’efficacité
entrent ensuite également en considération en tant que motifs
justificatifs. Ceux-ci sont uniquement donnés si le principe de
proportionnalité est respecté. Cela signifie notamment qu’il n’existe aucune
autre possibilité d’adopter un comportement différent et moins susceptible de
fausser la concurrence (principe de l’indispensabilité). En matière de refus
d’entretenir des relations commerciales, il doit en particulier être examiné si
ces refus sont nécessaires à l’entreprise dominante afin de protéger les
investissements ou garantir l’incitation à innover (ch. 520-523, p. 575).
En conclusion et en vertu de tout ce qui précède, aucun
motif justificatif objectif ne saurait être retenu pour des conditions
commerciales inéquitables ayant une portée aussi générale. Il convient
toutefois d’examiner encore l’existence d’éventuels motifs justificatifs
d’efficacité (ch. 533, p. 576).
Examen des motifs
justificatifs d’efficacité
(…) Il faut également garder à l’esprit que l’IDI coaxiale
est entièrement financée par le propriétaire, qui en acquiert la propriété (ch.
535, p. 577).
(…) Naxoo ajoute encore à juste titre que « C’est donc
afin de permettre aux habitants de la résidence de disposer d’un véritable
choix que le propriétaire avait intérêt à proposer diverses alternatives. C’est
du reste ce souci qui incite les propriétaires à intégrer diverses IDI en
parallèle (câble, cuivre, fibre optique) dans leurs immeubles ». Naxoo
résume ici parfaitement l’objet de l’enquête, à savoir que c’est effectivement
afin de permettre aux habitants d’un immeuble de disposer d’un véritable choix
que le propriétaire a intérêt à proposer diverses alternatives, et c’est ce qui
incite ce dernier à intégrer diverses technologies en parallèle. Un système
satellitaire comme le système Supermédia est une de ces alternatives,
alternative que Naxoo s’est attelée à écarter. L’argument de Naxoo de l’absence
de retour sur investissement si l’option « téléréseau uniquement » n’est pas
choisie est donc sans fondement. Naxoo cherche à faire changer les
propriétaires d’avis en leur faisant comprendre que s’ils n’excluent pas
d’emblée tout tiers au téléréseau de l’IDI coaxiale, elle ne reliera pas les
immeubles au téléréseau. Le courrier du 20 mai 2008 est d’ailleurs sans
équivoque à ce sujet, vu qu’il s’empresse d’ajouter que « nous [Naxoo]
sommes cependant prêts à envisager de revenir sur notre décision si la
copropriété souhaitait, après réflexion, revenir à une solution tout Téléréseau
». En conclusion sur ce point, la protection des investissements en tant
que motif justificatif d’efficacité ne peut être retenue (ch. 536-537, p. 577).
Il est ainsi constaté qu’aucun motif ne justifie
l’application des conditions commerciales inéquitables de Naxoo aux
propriétaires d’immeubles ou aux tiers qui prestent des services
supplémentaires par l’entremise de l’IDI coaxiale. Partant, la condition de
l’absence de considérations commerciales légitimes est également donnée (ch.
542, p. 578).
La question de
l’entrave à la concurrence
Il peut premièrement être relevé que le TAF ne considère pas
l’entrave à la concurrence comme un élément constitutif à part entière de l’imposition
de conditions commerciales inéquitables. La doctrine va dans le même sens, et
considère plutôt l’entrave importante à la capacité concurrentielle de tiers
sur le marché comme une aggravation du caractère inéquitable des conditions
commerciales. Partant, il n’y a pas lieu de retenir en l’espèce l’entrave à la
concurrence comme un élément constitutif à part entière de l’imposition de
conditions commerciales inéquitables (ch. 544, p. 578).
(…) En outre, les pratiques de Naxoo sont assimilables à un
comportement visant à forclore le marché (N 451 s.) (ch. 545, p. 578).
(…) Vu ce qui précède, le comportement de Naxoo produisait
des effets anticoncurrentiels puisqu’il restreignait voire éliminait la
concurrence exercée par le satellite sur le segment TV des offres de Naxoo, sur
les marchés du contenu situés en aval. Partant et même si elle n’est pas
nécessaire à part entière, la condition de l’entrave à la concurrence est
également donnée et aggrave le caractère inéquitable des conditions
commerciales (ch. 548, p. 579).
Casuistique
pertinente pour le cas d’espèce
Dans le cas Van den Bergh Foods Ltd – qui portait
notamment sur une condition commerciale inéquitable, respectivement une clause
d’exclusivité inéquitable –, la CJCE a jugé que lorsqu’un producteur de glaces
disposant d’une position dominante met des congélateurs gratuitement à
disposition des détaillants et en assure sans frais la maintenance, à condition
que les détaillants n’y entreposent que des glaces dudit producteur, il incite
les détaillants à s’approvisionner exclusivement auprès de lui. Une telle
clause rend toute entrée et toute expansion sur le marché en cause plus
difficile pour les concurrents de l’entreprise dominante; elle nuit également
aux intérêts des détaillants qui ne peuvent plus choisir librement leurs
sources d’approvisionnement ni la manière d’utiliser le plus efficacement leur
espace de vente; enfin, le choix de produits offerts aux consommateurs s’en
trouve restreint.
Ce cas est très proche de la situation d’espèce si l’on
remplace le producteur de glaces par Naxoo et les détaillants par les
propriétaires d’immeubles. Bien que Naxoo ne mette pas l’IDI coaxiale à
disposition (les congélateurs), elle en assure gratuitement la modernisation en
concluant des contrats de modernisation des IDI coaxiales, à condition qu’aucun
tiers à Naxoo ne puisse accéder aux IDI coaxiales pendant une certaine durée.
Naxoo incite ainsi les propriétaires d’immeubles à ne s’approvisionner
qu’exclusivement auprès d’elle (soit en raccordement au téléréseau) pendant
plusieurs années. Comme jugé par la CJCE, une telle clause nuit aux concurrents
(par ex. Gératronic) de l’entreprise dominante, aux intérêts des détaillants
(les propriétaires d’immeubles) et finalement aux consommateurs qui se retrouvent
avec un choix restreint de produits (ch. 555, p. 579).
Conclusion
intermédiaire
Vu les développements qui précèdent, les conditions
cumulatives qui constituent l’abus au sens de l’art. 7 al. 2 let. c LCart (N
499) sont remplies. Il est ainsi prouvé que Naxoo abuse de sa position
dominante en imposant ou en essayant d’imposer des conditions commerciales
inéquitables au sens de l’art. 7 al. 2 let. c LCart aux propriétaires
d’immeubles et par là même aux tiers qui prestent des services supplémentaires
par l’entremise de l’IDI coaxiale. Les conditions commerciales de Naxoo visent
à pousser les propriétaires à refuser d’entretenir des relations commerciales
avec les tiers désireux d’utiliser les IDI coaxiales, ou alternativement à
entraver tout tiers dans l’accès à l’IDI coaxiale. Elles excluent ainsi le
marché du raccordement au satellite au profit du raccordement au téléréseau,
affectant la concurrence sur les marchés du contenu situés en aval. Ces
conditions commerciales constituent par ailleurs des pratiques illicites
entravant l’accès d’entreprises tierces à la concurrence ou son exercice au
sens de l’art. 7 al. 1 LCart (ch. 557, p. 580).
Limitation des débouchés ou du développement
technologique (art. 7 al. 2 let. e LCart)
Afin de déterminer s’il y a abus au sens de l’art. 7 al. 2
let. e, les conditions cumulatives suivantes doivent être remplies:
a. Le comportement incriminé limite artificiellement l’accès
au marché;
b. Le comportement incriminé affecte la capacité
concurrentielle des concurrents;
c. Le comportement incriminé n’est pas justifié par des
considérations commerciales légitimes
Atteinte à la capacité concurrentielle des concurrents :
Dans le cas d’espèce, il y a atteinte à la capacité
concurrentielle de tiers vu que le comportement de Naxoo vise à empêcher, sur
les IDI coaxiales en Ville de Genève, le développement de systèmes tiers en
mesure de concurrencer Naxoo sur les marchés du contenu situés en aval, et
notamment sur le segment télévisuel (N 89). Or, la Ville de Genève est essentiellement
constituée d’immeubles de plusieurs logements (N 34), dont une grande majorité
est pourvue d’une antenne parabolique collective (N 165). Partant, la Ville de
Genève représente un marché avec des débouchés importants pour Gératronic ou
pour tout autre tiers utilisant les IDI coaxiales, que cela soit pour un
système satellitaire collectif ou d’autres services (ch. 567, p. 581).
Dans sa prise de position, Naxoo indique qu’il doit être
démontré en quoi le comportement incriminé résulte en une atteinte durable et
tangible de la concurrence en tant que telle, et non uniquement de certains
concurrents. Le droit de la concurrence protègerait la concurrence en tant que
telle et non les concurrents. De plus, Naxoo conteste à nouveau que Gératronic
soit un equally efficient competitor. En l’espèce, Naxoo omet de tenir
compte du fait que la présente enquête repose sur les conventions et contrats
de Naxoo (N 233 ss), ainsi que sur la stricte mise en oeuvre des conditions
commerciales problématiques de ces conventions et contrats (N 272 ss). Le fait
qu’une entreprise soit touchée en particulier dans le cas présent n’y change
rien, c’est bien les conventions et contrats de Naxoo et leur mise en oeuvre
qui constituent les comportements reprochés. Or, ces conventions et contrats
s’appliquent à tout acteur économique confronté à Naxoo, que cela soit en tant
que partenaire ou concurrent (ch. 569, p. 581).
Les mesures prises par Naxoo ces dernières années – comme le
refus de raccorder les immeubles au téléréseau en l’absence de la signature
d’une CRI permettant d’exclure tout tiers des installations intérieures,
l’envoi de courriers alarmants aux propriétaires ou aux futurs propriétaires,
ou encore des contrats de modernisation visant à s’assurer et à maintenir
l’exploitation exclusive des IDI coaxiales – amènent à la constatation que
Naxoo a tenté activement d’obtenir l’usage exclusif de l’IDI coaxiale en
abusant de sa position dominante sur son territoire d’activité. En vertu de
tout ce qui précède, il est retenu que Naxoo a abusé de sa position dominante
au sens de l’art. 7 al. 2 let. c et let. e LCart, ce qui constitue des
pratiques illicites entravant l’accès d’entreprises tierces à la concurrence ou
son exercice, et désavantageant les partenaires commerciaux au sens de l’art. 7
al. 1 LCart (ch. 574-575, p. 582).
Ad calcul de la
sanction
En l’espèce, le marché pertinent qui est retenu par la COMCO
dans le cadre de sa marge d’appréciation est le marché du raccordement au
téléréseau. En effet, c’est en particulier à partir de ce marché que se
produisent les conséquences économiques des pratiques illicites de Naxoo. A
relever que la presse genevoise indique également que la source de revenus de
Naxoo est « le réseau, présent dans les foyers genevois, à travers lequel
Naxoo commercialise un abonnement mensuel de base à CHF 29.95 ». Le nombre
de prises payantes (y compris locaux commerciaux) pour les années 2014 à 2016
doit ainsi être multiplié par le montant de CHF 25.55 HT, soit le montant hors
TVA et hors droits d’auteur payé par les abonnés pour bénéficier de l’offre de
base. La TVA et les droits d’auteur sont déduits par application analogique de
l’art. 4 al. 1 OCCE. A préciser que le montant mensuel de CHF 25.55 HT est dû
par chaque UH raccordée au Réseau Naxoo, que ce soit par le biais d'un Contrat
de raccordement collectif ou d'un Contrat de raccordement individuel (ch.
598-599, p. 584).
La sanction ne peut en aucun cas être supérieure à 10 % du
chiffre d’affaires réalisé en Suisse au cours des trois derniers exercices
(art. 49a al. 1 LCart et art. 7 OS LCart). Comme cela ressort notamment du
Message du Conseil fédéral portant sur la LCart de 2003, on entend les trois
derniers exercices clos avant l’adoption de la décision (ch. 623, p. 587).
Se fondant sur les faits de la cause et en vertu des
considérants qui précèdent, la COMCO arrive à la conclusion que Naxoo détient
une position dominante sur le marché suivant, au sens de l’art. 7 al. 1 en lien
avec l’art. 4 al. 2 LCart (section B.4.2):
- marché du raccordement au téléréseau sur le territoire
représenté par les codes postaux suisses 1201 à 1209 (ch. 636, p. 588).
(Décision de la
COMCO du 11 décembre 2017 en l’affaire enquête relative à l’art. 27 de la loi
fédérale du 6 octobre 1995 sur les cartels et autres restrictions à la
concurrence (loi sur les cartels [LCart]; RS 251) concernant Supermédia
relative à des pratiques illicites selon l’art. 7 LCart, RPW 2018/3, pp.
508-589)
No comments:
Post a Comment