Wednesday, October 30, 2019

Restrictive Trading Agreements: An Analytical Template Under Swiss Competition & Antitrust Law

 

Restrictive Trading Agreements: An Analytical Template Under Swiss Competition & Antitrust Law

 

 

Contrats de distribution

Accords en matière de concurrence

Action collective consciente et voulue

Présomption

Concurrence intermarques et intramarque

Renversement de la présomption

Affectation notable de la concurrence

Motif d'efficacité économique

Sanction

Pas de recours contre l’ouverture d’une enquête

Privilège de groupe

Ventes passives

Importations parallèles

Offre sur Internet

En l’espèce librairies françaises

En l’espèce distinguer les niveaux de marché « wholesale » et « retail »

Produits ou services substituables

Parts de marché

Barrières à l’entrée

Concurrence potentielle

 

 

 

Arrêt B-3938/2013 du Tribunal administratif fédéral, Cour II, du 30 octobre 2019 en l’affaire Dargaud (Suisse) SA, représentée par [...], recourante, contre Commission de la concurrence COMCO, autorité inférieure. Objet: Cartels – sanction. Marché du livre écrit en français. DPC 2020/3b, p. 1300ss.

 

 

Les contrats conclus entre la recourante et ses partenaires commerciaux confient une exclusivité à celle-ci. Huit types de clauses contractuelles sont répertoriés à cet effet.

 

 

Les informations obtenues auprès des diffuseurs-distributeurs et des détaillants ont fait apparaître que les diffuseurs-distributeurs actifs en Suisse occupaient une position forte sur le marché en cause et que le niveau des prix était élevé en Suisse.

 

 

L'enquête a ainsi été reprise le 22 mars 2012 et les diffuseurs-distributeurs ont été invités à indiquer leurs chiffres d'affaires pour les années 2009 à 2011 et à exposer leurs relations avec les fournisseurs.

 

 

En substance, l'autorité inférieure a retenu que la recourante avait été partie durant la période visée par l'enquête, à savoir de 2005 à 2011, à des systèmes de distribution ayant constitué une action collective consciente et voulue qui avait visé et eu pour effet de restreindre la concurrence efficace sur le marché de référence au sens de la loi sur les cartels. Elle a estimé que les conditions d'application de la présomption de l'art. 5 al. 4 de la loi sur les cartels étaient réunies dans la mesure où le système de distribution mis en place cloisonnait la distribution des livres écrits en français sur le territoire suisse. De plus, elle a considéré que la concurrence intermarques et intramarque n'était pas apte à renverser celle-ci. Toutefois, dans l'hypothèse d'un renversement de la présomption, elle a relevé que dit système de distribution avait notablement affecté la concurrence tant d'un point de vue qualitatif que quantitatif sans qu'un motif d'efficacité économique ne l'ait justifié (art. 5 al. 1 et 2 de la loi sur les cartels) (p. 1302).

 

 

Enfin, la Comco a retenu que le comportement illicite décrit ci-dessus était imputable à la recourante et devait être sanctionné. La sanction a été arrêtée sur la base des chiffres d'affaires réalisés durant les années 2009, 2010 et 2011 ainsi qu'à l'aune de la gravité et de la durée de l'infraction, à [...] francs, à savoir 4 % du chiffre d'affaires cumulé sur les trois derniers exercices, majoré de 50 % (p. 1303).

 

 

(…) L'ouverture d'une enquête ne constitue pas une décision susceptible de recours (cf. arrêt du TAF B-2050/2007 du 24 février 2010 Swisscom Terminierung consid. 1.2.3 non publié dans l'ATAF 2011/32) (ch. 1.3, p. 1307).

 

 

En l'occurrence, il ressort du dossier que la recourante appartient au groupe MP. Or, lorsque plusieurs filiales appartenant à un même groupe sont effectivement contrôlées par leur société-mère, il est admis, par la jurisprudence et la doctrine, - dès lors que les différentes entités du groupe ne peuvent se comporter de manière indépendante les unes par rapport aux autres - que celles-ci forment une seule et même entreprise au sens de la loi sur les cartels (p. 1308).

 

 

5.1 Pour être en présence d'un accord en matière de concurrence, deux conditions doivent être réunies selon le texte de l'art. 4 al. 1 LCart: il faut d'une part un accord et, d'autre part, que celui-ci vise ou entraîne une restriction à la concurrence (cf. MARC AMSTUTZ/BLAISE CARRON/Mani Reinert, in: Commentaire romand, Droit de la concurrence, 2e éd. 2013, art. 4 al. 1 LCart p. 220 no 1). Des accords au sens de l'art. 4 al. 1 LCart peuvent exister non seulement entre entreprises de même rang (accord horizontaux), mais aussi entre entreprises de différents échelons du marché (accords verticaux; cf. ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 4). Plusieurs formes d'accords sont mentionnées à l'art. 4 al. 1 LCart, à savoir les conventions, avec ou sans force obligatoire, et les pratiques concertées. Il s'agit de formes alternatives. Partant, si l'on est en présence d'une convention obligatoire, cela suffit pour en conclure à l'existence d'un accord, sans qu'il soit pour le surplus nécessaire de se demander si cet accord remplit les conditions d'une pratique concertée (cf. ATF 144 II 246 Altimum consid. 6.4.1). L'existence d'un accord suppose une action collective, consciente et voulue des entreprises participantes (cf. message LCart 1995, FF 1995 I 472, 544 ch. 224.1; ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 6.3 et 124 III 495 consid. 2a). Pour déterminer s'il y a accord, il convient d'appliquer les règles générales figurant aux art. 1 ss CO (cf. DIMITRI ANTIPAS, Les recommandations de prix en droit suisse et en droit européen de la concurrence, 2014, p. 140) et d'établir quelle était la volonté réciproque et concordante des parties, étant précisé que celle-ci peut être expresse ou tacite (art. 1 al. 2 CO; cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 4 al. 1 LCart p. 226 no 21; THOMAS NYDEGGER/WERNER NADIG, in: Basler Kommentar, Kartellgesetz, 2010, art. 4 al. 1 p. 166 no 83). Les déclarations et manifestations de volonté entre cocontractants doivent être interprétées conformément au principe de la confiance (art. 18 CO), sans s'arrêter aux termes retenus par les parties (cf. ATF 144 II 246 Altimum consid. 6.4.1). En outre, il résulte du concept même d'accord que deux entreprises participantes au moins sont nécessairespour remplir les exigences de la définition contenue à l'art. 4 al. 1 LCart (cf. arrêt B-5685/2012 précité Altimum consid. 4.1); la conclusion d'un accord nécessite donc la participation d'au moins deux entreprises jouissant d'une indépendance économique et organisationnelle (cf. MARTENET/KILLIAS, op. cit., art. 2 LCart p. 153-155 no 30-35; LEHNE, op. cit., art. 2 p. 84 s. no 27-29).

 

 

5.2 Pour retenir l'existence d'un accord au sens de l'art. 4 al. 1 LCart, il faut encore que celui-ci vise ou entraîne une restriction à la concurrence. On entend par là toute atteinte au libre jeu de l'offre et de la demande. Il faut donc qu'un accord affecte en plus un paramètre de concurrence, à savoir le prix, la quantité, la qualité, le design d'un produit ou d'un service, le service au client, les conditions commerciales appliquées ou encore les canaux d'écoulement ou d'approvisionnement (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 4 al. 1 LCart p. 244 ss no 72 ss; NYDEGGER/NADIG, op. cit., art. 4 al. 1 p. 158 et 162 no 42 et 63).

 

 

Un accord a pour objet une restriction à la concurrence lorsqu'il a pour but d'influencer un ou plusieurs paramètres concurrentiels, dont la gestion incombe en principe individuellement aux entreprises sur le marché. L'intention subjective des parties est sans pertinence, dans la mesure où, objectivement, selon le contenu de l'accord et le paramètre concurrentiel visé, l'accord est de nature à entraver ou supprimer l'exercice de la concurrence sur le paramètre en question (cf. arrêt B-5685/2012 précité Altimum consid. 4.1). Par conséquent, dans le cas d'une restriction par objet, il ne sera pas nécessaire d'examiner les effets de l'accord. En revanche, si l'on ne peut pas établir que l'accord vise une restriction de la concurrence, une analyse des effets de l'accord sur le marché sera nécessaire afin de déterminer s'il tombe ou non sous le coup de l'art. 4 al. 1 LCart. Il suffit d'établir un effet sur le marché ainsi que le rapport de causalité, naturelle et adéquate, entre cet effet et la coordination entre participants. Si la restriction à la concurrence est due à des facteurs exogènes, il n'y a pas d'accord en matière de concurrence. Les effets restrictifs de concurrence peuvent être présents, futurs ou passés (cf. arrêt du TAF B-8399/2010 du 23 septembre 2014 Baubeschläge Siegenia consid. 5.3.2.5 ss; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 4 al. 1 LCart p. 247 s. no 83 ss; NYDEGGER/NADIG, op. cit., art. 4 al. 1 p. 163 ss no 67 ss; MARIEL HOCH CLASSEN, Vertikale Wettbewerbsabreden im Kartellrecht, 2003, p. 217; ANTIPAS, op. cit., p. 276).

 

 

Lorsqu'elles sont passées entre deux sociétés appartenant au même groupe, les ententes verticales sur les prix et sur une protection territoriale absolue ne tombent pas dans le champ d'application de l'art. 5 al. 4 LCart, tant que ces ententes au sein d'un groupe ne prévoient pas pour les distributeurs en dehors du groupe des comportements verrouillant les marchés (ch. 9 pt 2 3e phrase de la note explicative). Est, par exemple, couvert par le privilège de groupe la redirection par une société étrangère vers une société suisse appartenant au même groupe des commandes non sollicitées provenant de distributeurs ou de clients finals situés en Suisse (ch. 9 pt 2 4e phrase de la note explicative). Ainsi, les conventions passées entre des sociétés, appartenant au même groupe et sur lesquelles la mère exerce un contrôle effectif, ne sont pas soumises à la loi sur les cartels dès lors que dites entités, en l'absence d'indépendance, constituent avec leur mère une seule entreprise (cf. arrêt du TF 2C_484/2010 du 29 juin 2012 Publigroupe consid. 3.3 non publié dans l'ATF 139 I 72; arrêt B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 29; MARTENET/KILLIAS, op. cit., art. 2 LCart, p. 153-155 no 30-35; NYDEGGER/NADIG, op. cit., art. 4 al. 1 p. 175 s. no 132).

 

 

Ventes passives :

Selon l'ancien Conseiller aux Etats Schiesser, rapporteur de la commission dont découle la proposition acceptée par la majorité, un contrat de distribution par lequel un producteur s'engage auprès de ses distributeurs, dans les territoires individuels attribués, à veiller à ce que ses distributeurs dans les autres territoires réservés ne procèdent à aucune vente dans le territoire attribué en question constitue, si tant est qu'il soit respecté, un système de protection territoriale infaillible, la concurrence intramarque étant ainsi supprimée. Selon la jurisprudence européenne, une telle protection territoriale absolue n'existe pas si les ventes passives dans d'autres territoires attribués sont autorisées. Un producteur n'a dès lors pas le droit de faire figurer dans ses contrats de distribution un tel engagement. Si des clients d'autres territoires attribués prenaient contact avec un distributeur contractuellement lié, alors il doit être permis à celui-ci de vendre et de livrer dans l'autre territoire attribué et il ne peut pas lui être interdit par le producteur de procéder de la sorte (cf. Schiesser BO 2003 E 329). (P. 1317-1318).

 

 

L'ancien Conseiller fédéral Deiss a également déclaré, au cours des débats relatifs à la modification de la loi sur les cartels, que les contrats de concession exclusive (Alleinvertriebsverträge) prévoyaient une certaine protection territoriale qui devait pouvoir rester licite aussi longtemps qu'elle n'avait pas un caractère absolu, c'est-à-dire tant que des ventes passives étaient possibles en dehors du territoire prévu par le contrat, soit tant que tout commerce parallèle n'était pas impossible (cf. Deiss BO 2003 E 331).

 

 

ll s'ensuit qu'il est interdit au producteur de restreindre la concurrence intramarque entre ses distributeurs en garantissant une protection territoriale absolue.

 

 

ll s'ensuit que les contrats de distribution licites au regard du droit européen de la concurrence doivent également être considérés comme licites en Suisse (cf. arrêt B-5685/2012 précité Altimum consid. 4.2.1).

 

 

8.1.4 En définitive, le contrat de distribution attribuant des territoires - ou contrat de distribution exclusive - se caractérise par l'engagement du producteur d'assurer au distributeur l'exclusivité des produits contractuels en vue de leur revente dans un territoire ou à une clientèle donnée et par l'engagement du distributeur de promouvoir lesdits produits (cf. XOUDIS, op. cit., p. 34). L'intensité de l'exclusivité promise peut varier. Par clause d'exclusivité simple, le producteur s'interdit de livrer les produits à toute autre personne que le distributeur sur le territoire concerné (cf. XOUDIS, op. cit., p. 35) et s'abstient de toute intervention dans la zone réservée à celui-ci, cas échéant en renonçant à vendre directement aux clients du distributeur. Le producteur devra alors transférer au distributeur toute demande de clients se trouvant sur ce territoire (cf. CHRISTOPH MÜLLER, Les contrats de distribution, in: Droits de la consommation et de la distribution, 2013, p. 77; URS EGLI, Die Bedeutung des Kartellrechts in der Vertragspraxis, recht 1/2014 p. 1 ss et 10; HOCH CLASSEN, op. cit., p. 21). Le respect de l'exclusivité simple par le producteur relève de la nature même du contrat de distribution exclusive (cf. arrêt du Tribunal de commerce du canton de Zurich du 17 mai 2010 Jovani consid. 3.3.3.2 ss, in: DPC 2010 p. 793 ss; GIGER, op. cit., p. 574). Du point de vue du droit de la concurrence, elle ne tombe pas sous le coup de l'art. 5 al. 4 LCart, aussi longtemps que l'acheteur est libre de se fournir auprès du fournisseur de son choix.

 

 

8.1.5 Ainsi, le Tribunal de commerce du canton de Zurich a admis que l'engagement par lequel le producteur renonçait à opérer des ventes passives directement aux clients finals dans le territoire attribué au distributeur exclusif n'était pas saisi par l'art. 5 al. 4 LCart, le fait que le producteur soit également actif dans la distribution de ses produits sur d'autres marchés est inopérant (cf. arrêt du Tribunal de commerce du canton de Zurich précité Jovani consid. 3.3.3.2, in: DPC 2010 p. 793 ss; GIGER, op. cit. p. 574; HOCH CLASSEN, op. cit., p. 21; cf. également ch. 9 note explicative CommVert). En effet, l'art. 5 al. 4 LCart vise les accords passés entre des entreprises occupant différents échelons du marché. A l'inverse, l'art. 5 al. 3 vise ceux passés entre des entreprises effectivement ou potentiellement en concurrence. En cas de double distribution - lorsque le producteur est également actif dans la distribution de ses produits sur d'autres territoires - l'accord possède à la fois une composante verticale et horizontale (cf. KRAUS-KOPF/SCHALLER, op. cit., art. 5 p. 435 no 541). Toutefois, seul l'art. 5 al. 4 LCart trouve application dans ce cas (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 5 LCart p. 557 s. no 554; KRAUSKOPF/SCHALLER, op. cit., art. 5 p. 435 no 541), le producteur agissant en tant qu'entreprise située en amont du distributeur (cf. ég. en droit européen, art. 2 ch. 4 let. a et b du règlement d'exemption par catégorie). La distinction est importante, dans la mesure où la présomption de l'art. 5 al. 3 LCart vise tout accord de répartition des marchés. Or, tel n'est pas le cas de la présomption de l'art. 5 al. 4 LCart.

 

 

(…) Aussi, le seul fait que l'accord n'empêche pas les ventes passives suffit pour que la présomption de l'art. 5 al. 4 LCart ne s'applique pas à celui-ci. Cette règle correspond à la réglementation européenne (art. 4/b 1er tiret du règlement d'exemption par catégorie). Les entreprises participantes n'ont dès lors pas à établir que des importations parallèles ont effectivement eu lieu, car ce point n'est pas pertinent à ce stade de l'analyse. Le contraire ferait dépendre l'application de l'art. 5 al. 4 à un comportement étranger à celui des entreprises participantes, ce qui n'est pas acceptable (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 5 LCart p. 568 no 609; AMSTUTZ/REINERT, op. cit., no 71; cf. également Deiss BO 2003 E 331 et Schiesser BO 2003 E 329 s.) (p. 1327).

 

 

(…) Un accord, qui aurait pour effet d'entraîner une suppression de la concurrence efficace, mais qui ne réaliserait pas les conditions d'application de l'art. 5 al. 4 LCart, serait saisi par l'art. 5 al. 1 LCart (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 5 LCart p. 488 s. no 223) (p. 1327).

 

 

(…) En droit européen, qualifier un accord ou une pratique de restrictif à la concurrence par son objet équivaut en effet à une sorte de présomption, puisque, si cette nature restrictive est établie, il ne sera pas nécessaire de rechercher quels sont les effets de l'accord ou de la pratique en question sur la concurrence (p.1327).

 

 

Dès lors que le droit européen - qui, contrairement au droit suisse, ne cherche pas à interdire les conséquences nuisibles d'ordre économique ou social des accords (principe de l'abus), mais des accords en soi (principe de l'interdiction) (cf. arrêts du TAF B-8430/2010 du 23 septembre 2014 Baubeschläge Koch consid. 7.1.3 et B-8399/2010 précité Baubeschläge Siegenia consid. 6.1.3) - n'exclut pas de prendre en compte les effets sur la concurrence pour déterminer si un accord a pour objet de restreindre celle-ci, le recours aux effets constatés sur le marché est a fortiori admis au stade de l'établissement des prémisses de la présomption de l'art. 5 al. 4 LCart. La prise en compte des effets de l'accord au stade de l'application de l'art. 5 al. 4 LCart ne dispense pas - le cas échéant - l'autorité d'examiner ultérieurement si la présomption est ou non renversée (p. 1327).

 

 

(…) Importations parallèles : à la question de savoir si la FNAC aurait pu s'approvisionner à l'étranger durant la période considérée, son directeur des opérations répond cependant par la négative, exposant qu'il était quasiment impossible pour un détaillant de s'approvisionner en France, dès lors qu'autant les détaillants, les diffuseurs-distributeurs ou les éditeurs français refusaient d'ouvrir un compte, renvoyant au surplus vers les diffuseurs-distributeurs suisses. Le directeur des opérations de la FNAC a ainsi précisé que « [...] si vous êtes libraire en Suisse et que vous allez en France pour une ouverture de compte, si vous êtes reçu, vous avez de la chance » (cf. acte 906 lignes 330-332). Cette réalité concernait tous les détaillants suisses. Si des comptes étaient ouverts, « il fallait négocier les conditions, s'occuper de la partie approvisionnement, de la partie étiquetage. Pas beaucoup de librairies ont des structures pour étiqueter le livre. Et puis vous perdez après les notions de commandes clients, les retours, l'information, tout ce qui aujourd'hui en fait partie. Donc, de toute façon, pour une petite structure, c'était impossible, pour une grosse, c'était quand même [...] très difficile » (cf. acte 906 lignes 96-103). En revanche, il a précisé qu'il n'y avait aucun problème pour importer des livres écrits en français de France vers l'Italie ou vers la Belgique, par exemple (cf. acte 906 lignes 343-346) (p. 1337-1338).

 

 

10.2 La présomption contenue à l'art. 5 al. 4 LCart est réfragable. La loi sur les cartels ne précise cependant pas à quelles conditions celle-là peut être renversée. Selon la jurisprudence, le renversement de la présomption exige la preuve qu'une concurrence subsiste sur le marché de référence nonobstant l'accord en matière de concurrence (cf. message LCart 1995, FF 1995 I 472, 561; ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 8.3.2; arrêt B-420/2008 précité Implenia consid. 7 et 9; Comco, DPC 2009/2 143, Sécateurs et cisailles, ch. 39; BORER, op. cit., art. 5 p. 80 no 31; KRAUSKOPF/SCHALLER, op. cit., art. 5 p. 439 no 574). Dite présomption est réputée levée en tous les cas lorsqu'il est établi qu'une concurrence continue d'exister sur le plan intramarque (cf. ATF 144 II 246 Altimum consid. 7.2 et 143 II 297 Gabaconsid. 4.2).

 

 

Ceci étant, il convient d'examiner, si la présomption légale de suppression de la concurrence efficace, à laquelle sont soumis les accords litigieux, peut en l'espèce être renversée.

 

 

11. Délimitation du marché de référence

 

11.1 Afin de déterminer l'intensité de la concurrence, il est avant tout nécessaire de délimiter le marché de référence du point de vue matériel, géographique et temporel (cf. ATF 139 I 72 Publigroupe consid. 9.1; Comco, DPC 2014/4 670, Preispolitik und andere Verhaltensweisen der SDA, ch. 59; LUCA STÄUBLE/FELIX SCHRANER, in: DIKE Kommentar zum Bundesgesetz über Kartelle und andere Wettbewerbsbeschränkungen, Zurich 2018, art. 4 al. 2 p. 257 s. no 88). A titre liminaire, il convient de rappeler que la délimitation du marché de référence requiert une analyse économique dont l'exactitude doit paraître vraisemblable et qui doit, dans sa logique, être intelligible et convaincante; la certitude n'est pas exigée, le degré de preuve requis étant alors celui de la vraisemblance prépondérante (cf. supra consid. 6.4; ég. ATF 139 I 72 Publigroupe consid. 9.2.3.4).

 

11.2 La délimitation du marché de référence - laquelle relève de l'appréciation des faits - permet de constater si, et dans quelle mesure, la concurrence efficace est effectivement supprimée par un accord en matière de concurrence (cf. arrêt B-8399/2010 précité Baubeschläge Siegenia consid. 6.1.2). La notion de marché de référence n'est pas définie dans la loi. L'art. 11 al. 3 let. a et b de l'ordonnance du 17 juin 1996 sur le contrôle des concentrations d'entreprises (OCCE, RS 251.4) peut toutefois, dans le cadre de l'appréciation des accords en matière de concurrence, être appliqué par analogie à la délimitation matérielle, géographique et temporelle du marché de référence (cf. ATF 139 I 72 Publigroupe consid. 9.1; arrêts B-831/2011 précité Six Group consid. 230, B-506/2010 précité Gaba consid. 9 et B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 257). Ainsi, outre le marché de produits, qui comprend tous les produits ou services que les partenaires potentiels de l'échange considèrent comme substituables en raison de leurs caractéristiques et de l'usage auquel ils sont destinés (art. 11 al. 3 let. a OCCE), il convient également de circonscrire le marché géographique dans lequel l'accord a produit ses effets (cf. arrêt B-5685/2012 précité Altimum consid. 5.3). Le marché de référence comprend le territoire sur lequel les partenaires potentiels de l'échange sont engagés du côté de l'offre ou de la demande pour les produits ou services qui composent le marché de produits (art. 11 al. 3 let. b OCCE). La clarification de la dimension temporelle du marché n'est pas toujours nécessaire, le marché temporel n'étant pris en compte que de manière exceptionnelle (cf. arrêt B-2977/2007 précité Publigroupe consid. 5.3; STÄUBLE/SCHRANER, op. cit., art. 4 al. 2 p. 270 no 115; ZIRLICK/BANGERTER, op. cit., art. 5 p. 447 no 71; EVELYNE CLERC/PRANVERA KËLLEZI, in: Commentaire romand, Droit de la concurrence, 2e éd. 2013, art. 4 al. 2 LCart p. 305 no 107).

 

 

Compte tenu des spécificités de la branche du livre, les partenaires potentiels de l'échange sont - du côté de la demande - principalement les librairies et les autres détaillants - dont l'activité principale ne constitue pas la revente de livres, mais plus globalement le commerce de détail - actifs également dans la vente de livres aux consommateurs (cf. ch. 497 s. de la décision attaquée); la recourante ne le conteste pas. Pour le surplus, il n'y a pas lieu de tenir compte des différentes catégories de détaillants, en tant qu'il ne ressort pas du dossier qu'une différence de traitement soit opérée par les diffuseurs-distributeurs. Au contraire, les accords examinés par l'autorité inférieure sont indépendants du type de détaillants (cf. ch. 500 de la décision attaquée). Du côté de l'offre, les diffuseurs-distributeurs, ainsi que les grossistes, font indéniablement partie de celle-ci. Reste dès lors à examiner si les entreprises actives sur Internet et les libraires français sont également des partenaires potentiels de l'échange; il convient d'en faire de même avec les consommateurs.

 

 

Il s'ensuit qu'un approvisionnement par le biais des entreprises présentes sur Internet ne permet pas aux détaillants de retirer une marge suffisante pour leur activité, les prix pratiqués aux détaillants par dites entreprises étant les mêmes que ceux pratiqués aux consommateurs. Ainsi, les quelques démarches d'approvisionnement par Internet effectuées par certains détaillants l'ont été dans des circonstances particulières et de manière ponctuelle. La recourante ne saurait dès lors en conclure que les entreprises actives sur Internet constitueraient une alternative d'approvisionnement valable. Partant, les entreprises actives sur Internet ne sont pas des partenaires potentiels de l'échange substituables au niveau de l'offre « wholesale».

 

 

11.3.1.2 Quant aux librairies françaises, il ressort de l'évaluation des questionnaires adressés aux détaillants que ceux-ci ne voient pas les librairies françaises comme une alternative crédible d'approvisionnement. Elles ne peuvent en réalité que constituer un « marché gris » au niveau de l'offre « wholesale», dès lors qu'elles représentent des intermédiaires supplémentaires dans le réseau de distribution et sont, à ce titre, elles-mêmes tributaires des diffuseurs-distributeurs exclusifs français. Dans ces conditions, elles ne sauraient constituer des partenaires potentiels de l'échange à part entière. Au surplus, les importations par l'intermédiaire d'un « faux-nez », c'est-à-dire sur le « marché gris », sont marginales et se font à l'insu des éditeurs et des diffuseurs-distributeurs. Il s'ensuit qu'un approvisionnement par le biais des libraires français ne permet pas aux détaillants d'obtenir les mêmes conditions et services offerts par les diffuseurs-distributeurs suisses, en particulier s'agissant des remises et du droit de retour. Ainsi, les quelques démarches d'approvisionnement auprès des librairies en France effectuées par certains détaillants l'ont été dans des circonstances spécifiques, en particulier pour les ouvrages non diffusés et non distribués en Suisse. Elles ne permettent pas de conclure que les librairies françaises sont des partenaires potentiels de l'échange substituables au niveau de l'offre « wholesale».

 

 

11.3.1.3 Il ressort enfin du dossier que le comportement d'achat des détaillants et des consommateurs ne sont pas non plus comparables. Les détaillants interviennent dans l'échange vis-à-vis des diffuseurs-distributeurs dans le but de vendre les livres aux consommateurs finals. Ainsi, ils doivent composer leur offre en tenant notamment compte du comportement d'achat des consommateurs finals. De même, il apparaît que les consommateurs et les détaillants ne sont pas prêts à payer le même montant pour un titre donné. Les détaillants visent avant tout la revente des ouvrages acquis auprès des diffuseurs-distributeurs et des grossistes, afin de dégager un revenu de cette activité. Ils acquièrent dans ce but plusieurs exemplaires d'un même titre afin d'être en mesure de revendre ledit titre à plusieurs consommateurs distincts. De leur côté, les consommateurs n'acquièrent généralement qu'un seul exemplaire de chaque titre. De même, les détaillants supportent les coûts de transport en cas d'exercice du droit de retour, les consommateurs n'ont pas à se préoccuper de ces questions, ou, à tout le moins, pas selon les mêmes contraintes. Enfin, les détaillants sont directement affectés par les clauses d'exclusivité existant dans les contrats situés en amont et il ne ressort pas du dossier que les consommateurs puissent s'approvisionner directement auprès des diffuseurs-distributeurs ou des grossistes. Il y a donc lieu de distinguer les niveaux de marché « wholesale » et « retail »; la recourante n'a d'ailleurs pas remis en cause sur le fond cette distinction.

 

 

Il s'ensuit que les consommateurs ne peuvent être considérés comme des partenaires potentiels de l'échange. Les pressions concurrentielles éventuellement générées par le marché « retail » et la demande des consommateurs finals seront toutefois considérées à un stade ultérieur de l'analyse.

 

 

11.3.1.4 Sur le vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que les partenaires potentiels de l'échange se situent uniquement sur le marché de la vente de livres au niveau « wholesale », c'est-à-dire entre les diffuseurs-distributeurs et les grossistes, d'un côté, et les détaillants, de l'autre, en tant qu'il s'agit du marché directement affecté par l'accord.

 

 

11.3.2 Il y a maintenant lieu de délimiter les produits ou services substituables entre les différents partenaires potentiels de l'échange, en tenant compte d'abord de la substituabilité du point de vue de la demande.

 

 

(…) Les produits qui ne sont pas substituables du côté de la demande doivent être néanmoins inclus dans le marché de produits s'il existe un degré élevé de substituabilité au niveau de l'offre (cf. arrêt B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 272; BORER, op. cit., art. 5 p. 70 no 12). Il y a substituabilité au niveau de l'offre lorsque les producteurs peuvent réorienter leur production à court terme, sans encourir de coûts ou de risques supplémentaires substantiels, et fabriquer ainsi des produits qui sont fonctionnellement interchangeables du point de vue de la demande avec les autres produits sur le marché (cf. arrêt B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 272; BORER, op. cit., art. 5 p. 70 no 12; MANI REINERT/BENJAMIN BLOCH, Basler Kommentar, Kartellgesetz, 2010, art. 4 al. 2 p. 207 no 150; STÄUBLE/SCHRANER, op. cit., art. 4 al. 2 p. 249 no 65; CLERC/KËLLEZI, op. cit., art. 4 al. 2 LCart p. 295 no 85). Seuls les concurrents susceptibles d'entrer sur le marché à bref délai sont pris en compte dans le cadre de la détermination de la substituabilité du côté de l'offre. En revanche, il n'y a pas lieu de tenir compte de concurrents potentiels susceptibles d'entrer sur le marché dans un délai prévisible, mais non bref. La concurrence potentielle sera toutefois prise en compte dans le cadre de l'analyse de la concurrence sur le marché de référence (cf. CLERC/KËLLEZI, op. cit., art. 4 al. 2 LCart p. 290 no 67; ZÄCH, Verhaltensweisen, op. cit., p. 163).

 

 

(…) S'agissant des livres numériques, il y a lieu de distinguer selon que ceux-ci sont substituables aux livres écrits au niveau « wholesale », c'est-à-dire du point de vue des détaillants, et au niveau « retail », c'est-à-dire du point de vue des consommateurs. L'expertise Gugler (cf. acte 699a, annexe 1), sur laquelle se fondent certains diffuseurs-distributeurs, n'a pas distingué leurs arguments selon les niveaux « wholesale» et « retail». L'utilisation du livre numérique nécessite l'utilisation d'une liseuse ou d'un autre dispositif électronique, tel un smartphone ou une tablette, ce qui constitue en soi un produit spécifique. De plus, le contenu du livre s'acquiert essentiellement en ligne, sans point de vente physique et sans intermédiaire. La structure du marché est donc sensiblement différente du modèle économique existant pour les livres imprimés et n'est pas directement touchée par les accords existants entre les diffuseurs-distributeurs et les détaillants. Ainsi, du point de vue des détaillants, le livre numérique n'est pas vu comme substituable au livre imprimé. De même, il n'apparaît pas que les diffuseurs-distributeurs aient été en mesure, durant la période de l'enquête, de fournir des livres numériques aux détaillants dans un laps de temps bref et sans investissements conséquents; la recourante ne développe d'ailleurs aucun argument spécifique sur ce point. Ainsi, il y a lieu de constater que le livre numérique n'a joué aucun rôle sur le marché « wholesale» durant la période de l'enquête. Quant à l'influence des livres numériques sur le marché « retail », l'autorité inférieure se fonde sur plusieurs études, notamment sur l'expertise Gugler. Selon une étude du cabinet Kearney, datant de 2012, les ventes de livres numériques ne représenteraient que 0.5 % des ventes totales de livres en France - seuls 0.2 % des français étant équipés en matériel pour lire des livres numériques - pour un catalogue de 60'000 titres (cf. ch. 473 de la décision attaquée). Selon une étude Ipsos/Livres Hebdo, effectuée début 2011, les français estiment à 65 % que le livre imprimé restera toujours le principal support, l'étude précisant que le taux d'intérêt pour les livres numériques n'a pratiquement pas bougé entre 2009 et 2011 (cf. ch. 474 de la décision attaquée). Quant à l'expertise Gugler, elle se fonde sur une étude produite en 2010 par PricewaterhouseCoopers, laquelle prédit une forte croissance, à l'avenir, des livres numériques (cf. ch. 475 de la décision attaquée). Il s'ensuit que la faible consommation de livres numériques durant la période de l'enquête ne permet pas de constater que ceux-ci soient substituables aux livres imprimés aux yeux du consommateur final. Force est dès lors de constater, à l'instar de l'autorité inférieure, que les livres numériques n'ont pas non plus fait partie du marché pertinent au niveau « retail».

 

 

(…) Il appert qu'il n'est pas nécessaire - au stade de la définition du marché de référence - d'opérer une distinction entre les différentes catégories de livres proposées par la recourante, puisque le livre écrit constitue, en tant que tel, le produit vendu. En revanche, l'influence des différentes catégories de livres sur le comportement des consommateurs devra être examinée ultérieurement au stade de l'analyse de la concurrence.

 

 

(…) Toutefois, il y a lieu d'exclure les librairies françaises des partenaires potentiels de l'échange, celles-ci ne constituant pas une alternative d'approvisionnement crédible. Pour le surplus, rien ne s'oppose à la délimitation du marché de référence opérée par l'autorité inférieure, laquelle a défini le marché comme étant celui de la vente « wholesale » de livres neufs, imprimés et écrits, c'est-à-dire rédigés ou traduits, en français dans la zone supranationale francophone, à l'exclusion du commerce électronique de livres imprimés.

 

 

12.2 Il subsiste une concurrence sur le plan intramarque lorsque les partenaires potentiels de l'échange qui offrent des produits ou des services de la même marque continuent de se faire concurrence malgré l'existence de l'accord (cf. ATF 144 II 246 Altimum consid. 7.2; arrêt B-5685/2012 précité Altimum consid. 5.4; Comco, DPC 2014/1 184, Kosmetikprodukte, ch. 176 ss et DPC 2010/1 65, Gaba, no 207 ss; ZIRLICK/BANGERTER, op. cit., art. 5 p. 459 no 114; KRAUSKOPF/SCHALLER, op. cit., art. 5 p. 442 no 594 ss). Tel est le cas lorsqu'il existe des possibilités d'arbitrage suffisantes, lesquelles peuvent consister en un différentiel de prix ou des différences concernant d'autres paramètres, comme les services, et - dans le cadre d'accord d'attribution de territoires - si suffisamment d'importations parallèles ont effectivement eu lieu pour discipliner le marché (cf. arrêt B-506/2010 précité Gaba consid. 8.1.2; Comco, DPC 2012/3 540, BMW, ch. 215 ss et DPC 2010/1 65, Gaba, ch. 207 ss; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 5 LCart p. 581 ss no 660 ss). Une concurrence sur le plan intramarque peut également subsister indépendamment d'éventuelles importations parallèles, s'il subsiste une concurrence en Suisse (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 5 LCart p. 585 no 676).

 

 

13.3 L'analyse de la concurrence actuelle débute par celle des parts de marché détenues par le fournisseur et ses concurrents (cf. Comco, DPC 2012/3 540, BMW, ch. 249 ss et DPC 2010/1 65, Gaba, ch. 257 ss). En principe, les accords verticaux (de prix minimum ou de protection territoriale) ne produiraient d'effets anticoncurrentiels qu'en présence d'un pouvoir de marché des entreprises participantes supérieur à 30 % (ch. 153 et 154 des lignes directrices; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 5 LCart p. 584 no 670). Par ailleurs, l'évolution des parts de marché permet, en principe, d'admettre plus facilement l'existence d'une concurrence sur le plan intermarques que si les parts de marché demeurent identiques pendant des années (cf. ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 9.5.5). La présence d'une concurrence par le prix parle également souvent en faveur de l'existence d'une concurrence sur le plan intermarques (cf. Comco, DPC 2010/1 65, Gaba, ch. 282; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 5 LCart p. 584 s. no 673). De même, la différenciation des produits constitue aussi un indice qu'une concurrence subsiste (cf. Comco, DPC 2010/1 65, Gaba, ch. 284 ss; ZIRLICK/BANGERTER, op. cit., art. 5 p. 460 s. no 120). A défaut, il s'agira d'examiner si le producteur et ses concurrents font face à une concurrence potentielle les forçant à adopter un comportement efficace malgré l'absence de concurrence actuelle (cf. Comco, DPC 2014/1 184, Kosmetikprodukte, ch. 212 ss et DPC 2012/3 540, BMW, ch. 269 ss; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 5 LCart p. 548 no 508; ZIRLICK/BANGERTER, op. cit., art. 5 p. 460 s. no 120). A cet effet, l'existence de faibles barrières à l'entrée sur le marché constitue un indice de l'existence d'une concurrence efficace (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 5 LCart p. 548 no 508). Inversement, la présence de barrières légales à l'entrée sur le marché, l'existence de coûts irrécupérables élevés, les difficultés linguistiques, les coûts de transport élevés et les surcapacités sont des indices qu'une concurrence intermarques potentielle efficace n'existe pas. La concurrence potentielle fait défaut si l'on ne peut pas envisager des entrées sur le marché dans un délai de deux à trois ans (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 5 LCart p. 548 no 509).

 

 

Ainsi, compte tenu de la nécessité pour les détaillants d'être en relation avec l'ensemble des distributeurs-diffuseurs, la concurrence actuelle sur le plan intermarques entre ces derniers a été très largement insuffisante pour qu'il subsiste une concurrence sur le marché de référence.

13.4 Il convient dès lors d'examiner si, durant la période concernée, il subsistait une concurrence potentielle au niveau intermarques sur le marché de référence. Tel est le cas lorsque le producteur et ses concurrents craignent de nouvelles entrées sur le marché. Ainsi, les conditions d'accès et de sortie du marché sont un critère central dans l'appréciation de la concurrence intermarques potentielle (message LCart 1995, FF 1995 I 472, 515). L'existence de faibles barrières à l'entrée sur le marché, que ce soit pour des offreurs domestiques ou étrangers, constitue un indice de l'existence d'une concurrence efficace (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 5 LCart p. 548 no 508).

 

 

14. Pression disciplinante des partenaires potentiels de l'échange

Dans l'hypothèse où, comme en l'espèce, il ne subsisterait pas de concurrence, tant sur le plan intramarque, qu'intermarques, il y a lieu d'examiner si la position des partenaires potentiels de l'échange a exercé une pression disciplinaire sur les parties à l'accord (cf. arrêt B-420/2008 précité Implenia consid. 9.2.4; KRAUS-KOPF/SCHALLER, op. cit., art. 5 p. 394 et 424 no 241 et 455; ZÄCH, Kartellrecht, op. cit., p. 211 no 434 in fine).

 

 

14.3 Il s'agit encore d'examiner si, durant la période d'enquête, la concurrence entre les détaillants suisses et, de manière plus générale, la concurrence sur le marché « retail» de la vente de livres, situé en aval du marché pertinent, a - par réflexion - exercé une pression disciplinante sur le comportement de la recourante.

 

 

Les conditions auxquelles des accords en matière de concurrence sont en règle générale réputés justifiés par des motifs d'efficacité économique peuvent être fixées par voie d'ordonnances ou de communications (art. 6 al. 1 LCart). Le but de cette disposition est de confier au Conseil fédéral et à la Comco la faculté de préciser l'interprétation qu'ils entendent donner au critère d'efficacité économique prévu par l'art. 5 al. 2 LCart (cf. ATF 144 II 246 Altimum consid. 13.3; XOUDIS, op. cit., p. 331 s.). Fondé sur dite disposition, le ch. 16 par. 3 CommVert indique que les accords qui affectent la concurrence de manière notable, sauf situations non réalisées en l'espèce, doivent être soumis à un examen au cas par cas. Les entreprises peuvent notamment faire valoir, au titre des motifs d'efficacité économique, la protection limitée d'investissements nécessaires à la pénétration d'un nouveau marché géographique ou l'introduction d'un nouveau produit sur le marché, la nécessité d'assurer l'uniformité et la qualité des produits contractuels, la protection d'investissements propres à une relation contractuelle qui ne peuvent pas être utilisés hors de celle-ci ou seulement moyennant une perte considérable et le fait d'éviter un niveau sous-optimal de mesures de promotion des ventes (parasitisme) (ch. 16 par. 4 let. a-d CommVert). Il est en outre généralement admis que certains accords attribuant une exclusivité puissent avoir des effets positifs sur la concurrence notamment lorsqu'ils favorisent une diminution des coûts de distribution, la promotion de la vente, le service à la clientèle et le stockage des biens ou s'ils améliorent l'approvisionnement des consommateurs (cf. ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 10.3; REYMOND, op. cit., art. 6 p. 616 no 122). Enfin, il ne revient pas au tribunal ou aux autorités de la concurrence de prouver l'inexistence de motifs justificatifs. Si ceux-ci n'ont pas pu être établis par les autorités ou les parties, une restriction à la concurrence demeure illicite (cf. arrêt 2A.430/2006 précité Sammelrevers consid. 10.3).

 

 

18. Sanction (art. 49a al. 1 LCart)

(…) A l'inverse, les accords qui suppriment la concurrence efficace - ou qui l'affectent notablement sans être justifiés par des motifs d'efficacité économique - sans toutefois être visés par un état de fait couvert par l'art. 5 al. 3 ou 4 sont exclus du champ d'application de l'art. 49a al. 1 LCart.

 

 

18.2.2 Il y a donc lieu de déterminer si la violation du droit des cartels est aussi subjectivement imputable à la recourante. L'imputation suppose l'imputabilité (cf. arrêt B-2977/2007 précité Publigroupe consid. 8.2.2), à savoir la violation objective d'un devoir de diligence, laquelle peut découler des circonstances ou d'un défaut d'organisation (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.6.2). En droit des cartels, le devoir de diligence des entreprises résulte en premier lieu des dispositions de la loi. Elles doivent notamment s'abstenir de tout comportement illicite au sens de l'art. 5 LCart et, en particulier, ne pas conclure l'un des accords en matière de concurrence énumérés à l'art. 5 al. 3 et 4 LCart (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.6.2; arrêt B-807/2012 précité Strassen- und Tiefbau im Kanton Aargau consid. 11.2.4). En règle générale, lorsque l'existence d'un tel accord peut être démontrée, la violation objective d'un devoir de diligence est donnée (cf. PETER REINERT, Die Sanktionsregelung gemäss revidierem Kartellgesetz, in: Das revidierte Kartellgesetz in der Praxis, 2006, p. 151), dans la mesure où il appartient aux entreprises de s'informer sur les règles de la loi sur les cartels, de la jurisprudence et des communications qui s'y rapportent (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.6.2). En cas de doute, il est également possible de s'informer de la situation actuelle auprès de la Comco (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.6.2). En outre, la jurisprudence et la doctrine sont d'avis qu'un transfert de responsabilité est admissible entre une filiale et une société mère, d'autant plus lorsque celles-ci forment un groupe et constituent partant une seule et même entreprise au sens de l'art. 2 LCart. Aussi, il est possible de sanctionner la filiale pour des accords conclus entre des sociétés du groupe et des tiers (cf. arrêts B-807/2012 précité Strassen-und Tiefbau im Kanton Aargau consid. 11.4 et B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 74 et 577 ss; ROBERT ROTH, in: Commentaire romand, Droit de la concurrence, 2e éd. 2013, rem. art. 49a-53 p. 1496 s. no 34 ss).

 

 

(…) Enfin, dès lors que la violation par négligence d'un devoir de diligence suffit, l'argumentaire de la recourante selon lequel elle n'avait pas conscience de l'illicéité de son comportement ne saurait prospérer. La recourante a manqué à son devoir de diligence en ne s'assurant pas auprès de l'autorité inférieure du point de savoir si son système de distribution était conforme aux règles du droit de la concurrence.

 

 

Le prononcé de la sanction doit respecter le principe de la proportionnalité conformément à l'art. 5 al. 2 Cst. (art. 2 al. 2 OS LCart). En principe, une sanction ne peut être infligée que si la compétitivité des entreprises est préservée. L'aspect punitif de la sanction ne saurait par conséquent conduire à mettre en péril l'existence de l'entreprise et ne doit pas conduire à sa faillite, ce qui ne servirait en définitive pas la concurrence (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.7.2; arrêt 2C_484/2010 précité Publigroupe consid. 12.3.2 non publié dans l'ATF 139 I 72). Le montant de la sanction doit donc se trouver dans un rapport acceptable avec le rendement de l'entreprise. Néanmoins, le préjudice financier doit être suffisamment important pour que la participation à une infraction ne se révèle pas avantageuse (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.7.2) (p. 1359).